Alexandre Cormier-Denis >
Pour la première fois de l’histoire politique du Québec, il y aura un débat télévisuel des chefs des partis politiques qui se fera uniquement en anglais.
La seule tenue d’un débat d’une telle importance en anglais devrait susciter l’indignation de tous les militants nationalistes du Québec. Le peu d’indignation que cela suscite des commentateurs médiatiques, voire les applaudissements incompréhensibles de certains souverainistes, indique le niveau de régression politique actuel du combat pour la langue.
Mais il y a pire.
Bien pire.
La proposition d’angliciser le débat politique au Québec n’est pas le fait des consortiums de télévisions anglophones de Montréal, ni du très fédéraliste Philippe Couillard ou du très ambigu François Legault.
Elle émane de l’actuel chef du Parti québécois : Jean-François Lisée.
Jean-François Lisée a aussi peu à coeur le Québec français que ses adversaires
De renoncement en renoncement, jusqu’à la disparition finale
Le dirigeant du « vaisseau amiral de la souveraineté » a devancé la demande des chaînes anglophones et a pris l’initiative d’inviter ses adversaires à se soumettre à la plus formidable attaque contre le caractère français du Québec jamais vue depuis des décennies.
Jean-François Lisée organise de son propre chef l’anglicisation officielle de la politique québécoise en donnant une légitimité à l’utilisation exclusive de l’anglais dans le cadre d’un débat publique d’une importance nationale.
Toutes les prétentions à faire du français l’unique langue commune de la vie publique québécoise viennent d’être réduites à néant par l’homme qui est censé incarner la défense des intérêts nationaux des Québécois.
Il est invraisemblable que quarante ans après l’adoption de la loi 101, nous devions subir aujourd’hui le plus grand assaut contre le caractère français du Québec de la part du chef du Parti québécois.
De la citoyenneté québécoise à l’anglicisation généralisée
En quelques années, nous avons pu constater la formidable régression du Parti québécois sur la question linguistique.
En 2012, le Parti québécois avait proposé la mise en place d’une citoyenneté québécoise dont le premier critère de sélection pour les immigrés était la connaissance de la langue française.
En moins de six ans, le PQ est passé de la proposition d’autoriser uniquement la citoyenneté aux nouveaux arrivants maîtrisant le français à l’acceptation de l’anglais comme l’une des deux langues officielles du débat public québécois.
Par l’écart qui sépare ces deux prises de position, nous pouvons constater la dégradation de la conscience nationale au sein du PQ.
Déjà, dans son livre La souveraineté en héritage (2015), Jacques Beauchemin relatait le peu d’enthousiasme qu’il avait rencontré au sein du Parti québécois afin de renforcer la langue française lors de son passage au gouvernement comme sous-ministre associé à la langue française.
Les choses ne se sont guère améliorées depuis.
Pour quiconque connaît un tant soit peu les prises de positions passées de l’actuel chef du parti, cela ne surprend pas.
Lisée, ancien conseiller politique de Lucien Bouchard
De la paix linguistique à l’anglicisation du débat public
Jean-François Lisée a un lourd passif sur la question linguistique.
C’est lui qui a rédigé le discours de Lucien Bouchard sur la « paix linguistique » devant le lobby anglophone au Centaur en 1996, contribuant à démobiliser le Parti québécois quant à la défense du français. Cela a eu comme conséquence d’accélérer l’anglicisation de Montréal et d’accréditer l’idée que le combat pour la langue était réglé.
Il a également milité pour la bilinguisation de la Société des transports de Montréal. Reprenant l’expression de Lionel Groulx pour désigner les Canadiens français toujours prêts à tous les compromis pour rassurer le Canada anglais de notre soumission politique, Parizeau profita de l’occasion pour qualifier Lisée de « bon-ententiste ».
Lisée s’est aussi fait l’avocat du rapprochement avec les anglophones, croyant naïvement pouvoir rallier l’électorat le plus hostile au projet souverainiste. Dans cet esprit, il a fait la promotion de ce fabuleux vidéo-clip bilingue digne de Justin Trudeau : Notre Home.
L’actuel chef du PQ a également manifesté son désir de changer le statut du français, pour le faire passer de « langue officielle » à « langue de prépondérance », ouvrant ainsi la voie à une forme de bilinguisation généralisée.
Lors du congrès du PQ de 2017, il a mis tout son poids politique pour que la proposition visant à obliger l’affichage unilingue francophone soit battue et a également rejeté du revers de la main la demande d’étendre la loi 101 aux CÉGEPS.
Son anglomanie est constante et systémique depuis plus de vingt ans.
La jeunesse québécoise accompagnait le cortège funéraire du chanoine Groulx
Jean-François Lisée, fossoyeur de l’État français
Si certains entretenaient encore l’espoir de voir surgir une doctrine nationaliste faisant du français la langue d’État du Québec sous la gouverne d’un Parti québécois dirigé par Jean-François Lisée, il est temps qu’ils en fassent le deuil.
La seule doctrine d’État qu’est capable de produire Lisée est celle d’un État totalement soumis au bilinguisme bon-ententiste émanant d’une vision toute canadienne du Québec.
En se faisant le promoteur de l’anglicisation du débat public québécois, Jean-François Lisée trahit la cause du Québec français et nuit aux efforts mis en place depuis des siècles pour assurer la prédominance de la langue française dans la vie publique québécoise.
Alors que des fonctionnaires québécois travaillant pour le gouvernement fédéral se battent devant les tribunaux pour faire respecter leur droit linguistique, que le Barreau souhaite invalider les lois québécoises au nom du bilinguisme canadien et que l’utilisation du français est en recul au Québec, le chef du Parti québécois, loin de prendre la défense du fait français, décide de participer à cette attaque frontale contre le caractère français du Québec.
Comment aujourd’hui défendre le français comme seule langue officielle du Québec si le chef du camp souverainiste appelle lui-même à l’anglicisation de notre vie publique ?
Que répondre aux militants anglophones et aux immigrants anglicisés qui nous parleront du caractère bilingue de la « Province de Québec », puisque le dirigeant du parti ayant instauré la loi 101 valide la bilinguisation du débat politique québécois ?
Lisée s’entendra très bien avec les militants angryphones du Québec bilingue qu’il promeut
Une seule solution : revenir sur sa décision
En invitant les autres formations politiques à accepter le débat des chefs en anglais, Lisée vient de créer un dangereux précédent auquel le prochain chef du Parti québécois devra mettre fin.
S’il ne veut pas être considéré comme un adversaire de la cause du français, le chef du Parti québécois doit revenir sur sa décision et refuser de participer à l’anglicisation de la patrie.
Il serait bien que les défenseurs du français fassent entendre de manière plus véhémente leur opposition à cet énième recul de la cause nationale.
L’occasion est trop belle pour ne pas vous rappeler que c’est vous, et non Jean-François Lisée, qui faites ici une lecture fausse de notre société. La québécitude ne repose pas sur le seul Québec francophone, mais bien aussi sur un Québec anglophone que, par conséquent, tout politique se doit de respecter. Pour les néo-nationalistes, ce sont les anglophones qui donnent toute sa légitimité au peuple québécois, car sans eux, nous ne resterions que des Canadiens-Français, ces «majoritaires historiques francophones» que nos chroniqueurs patentés se plaisent tant à mépriser ces jours-ci. Rappelez-vous, les lois 101 et 99, législations toutes deux adoptées par des gouvernements péquistes, précisent bien que le peuple québécois, certes décrit comme étant alors à majorité francophone, est spécifiquement formé d’une communauté d’expression anglaise aux droits consacrés, de gens de toutes origines à l’apport reconnu et de onze nations autochtones.
L’État français qui constituait la principale visée politique des nationalistes canadiens-français et duquel vous semblez toujours vous réclamer a dès lors été rendu illégal dès 1977. Depuis l’adoption de la loi 99 en 2000, cette visée a été même totalement délégitimée, à tel point que la SSJB, naguère société nationale des Canadiens-Français, défend cette loi qui, en consacrant les droits (d’une portée large et indéfinie) de la communauté québécoise d’expression anglaise, a ouvert la voie à la «bilinguisation» générale de l’État à laquelle nous assistons depuis.
Ce n’est pas ce que vos maîtres à penser vous disent? Ce n’est pas ce qu’on vous a fait croire? Eh bien, c’est parce que chez-nous on a tendance à confondre le discours politique et l’action ou l’agir législatif. Politiquement, le PQ a toujours laissé place à une variété de positions qui pouvait convenir à un plus large éventail de partisans, laissant ainsi courir, tout en les opposant, toutes sortes de conceptions fausses qui masquaient la vraie nature de la québécitude. Légalement cependant, le PQ n’a jamais dérogé d’une conception bilingue et pluraliste du peuple québécois et de l’État du Québec, car c’était là le fondement essentiel d’un néo-nationalisme civique en rupture avec le nationalisme de nos pères qui tendait à la reconnaissance d’un État canadien-français. Tout au plus, les dirigeants péquistes, comme Lisée, concéderont aux «de souche», une prédominance du français dans l’application du bilinguisme à la québécoise.
Il y avait un prix à renier la nation canadienne-française au profit du peuple québécois M. Cormier-Denis, et notre État français en faisait partie.
Bonjour,
Je suis tout à fait d’accord avec l’unilinguisme français pour les services données par le gouvernement du Québec, sauf bien sûr pour la minorité anglaise historique. (Donc pas pour les immigrants, même ceux qui viennent de pays anglophones, comme le Nigeria (!!!) de ce temps-ci …)
Je pense qu’il faut faire preuve d’ouverture d’esprit. M. Lisée parle très bien anglais, je ne vois pas pourquoi il ne participerait pas à un débat en anglais.
Je vous précise par exemple que le PQ présente dans Ste-Marie St-Jacques une jeune anglophone, Jennifer Drouin (malgré son nom, c’est une anglophone). (Elle va se présenter contre Manon Massé.) C’est une fille formidable, très sympathique, et c’est un atout pour le Parti Québécois. Vous pouvez aller voir son CV sur le site du PQ, vous allez être impressionnés : https://pq.org/elections2018 (cliquez sur Jennifer Drouin).
Autant on peut comme moi être contre le bilinguisme institutionnel, autant on a intérêt au bilinguisme (et même au trilinguisme) personnel, non ?
Un des problèmes au Québec, c’est la mauvaise qualité de la langue française véhiculée par les médias (télé, radio, publicité, théâtre, chanson), mais on dirait que personne n’en parle, c’est un tabou. On se gargarise avec les mots «langue française», mais notre façon de parler nous coupe complètement de la francophonie internationale. Pourquoi nos films doivent-ils être doublés avant d’être projetés en France ? Nous nous séparons nous-mêmes de la langue et de la culture françaises. Si on veut aller voir comment les jeunes Québécois parlent, on peut visionner sur YouTube la chaîne WordUP! Battles, ou encore on peut écouter les animateurs de radio à CISM-FM, 89,3 FM à Montréal. C’est la radio étudiante de l’Université de Montréal (sic!).
À mon avis, le livre Les insolences du Frère Untel est plus d’actualité que jamais au Québec.
Bref, pour reprendre le titre d’un de vos articles, on a plusieurs chantiers à entreprendre pour mettre fin à notre «effondrement national».
Merci +