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Entretien avec Gilles Proulx sur l’importance de Lionel Groulx

Rémi Tremblay >

Chroniqueur au Journal de Montréal, animateur radio, conférencier, Gilles Proulx est aussi l’auteur de plusieurs livres, dont Montréal : 60 événements qui ont marqué l’histoire de la métropole, ainsi que Nouvelle-France : ce qu’on aurait dû vous enseigner.

— Que reste-il de la pensée du chanoine Groulx 50 ans après son décès ?

— La nouvelle génération s’éloigne de Lionel Groulx, qui mettait en avant en quelque sorte le surpassement des nôtres avec notamment des figures comme Dollard des Ormeaux, qu’il a présenté comme un héros. Aujourd’hui, le révisionnisme historique détruit ces gens-là, parce que l’histoire est devenue plus sociale, plus gauchisante. On assiste même à ce phénomène au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste, une organisation dévouée à la défense des intérêts et la promotion des Canadiens français, comme on les appelait à l’époque, et qui devient aujourd’hui une société plutôt attentive à la gauche, qui atténue son discours identitaire, qui passe par-dessus les accrocs à l’égard du français ou à l’enseignement de l’histoire.

— Vous avez assisté aux funérailles du chanoine Groulx, pourriez-vous nous en glisser un mot ?

— J’étais un jeune reporter à l’époque et on m’avait envoyé à Dorion pour ses funérailles, car c’était un gros événement. Le Premier ministre du temps, Daniel Johnson père, était en tête du cortège pour lui rendre hommage, avec toute une pléthore de personnages importants. Je me rappelle qu’il était mort à la veille de l’inauguration de l’exposition universelle de 1967, alors que le Québec ouvrait sa fenêtre vers le monde. Certains lui reprochent d’avoir été une espèce d’ultramontain. C’était un conservateur, un homme louable, avec ses grandes valeurs, son amour profond du Québec, de sa nation.

— Considérez-vous le chanoine Groulx comme une source d’inspiration dans votre propre travail de communicateur et d’historien ?

— Je ne peux pas dire que j’ai été très influencé par son œuvre. Je ne me suis pas abreuvé de ses ouvrages, sauf pour les Lendemains de veille parce que je suis un amant de l’histoire de la Nouvelle-France. Je me rappelle l’avoir rencontré rue de l’Epée à l’époque, à Outremont, où il m’avait parlé dans son bureau des talents de discoureur de gens qu’il avait lui-même rencontrés dans le passé comme Olivar Asselin, mais c’est tout. Il a eu sa grande utilité dans l’éclairage de notre nation. Ce n’est pas pour rien que le maire Jean Drapeau, lui-même élève de Groulx, a insisté pour perpétuer son souvenir à sa mort en donnant son nom à une station de métro très fréquentée. Alors, en influençant ces gens-là qui étaient nos élites dans les années 60, il a su attirer mon attention et susciter mon respect.

 

Le plus important penseur canadien français de la première moitié du XXe siècle

 

— Vous avez mentionné le terme « nation ». Lorsque Groulx emploie ce terme, c’est avec une signification différente de celle qui prévaut aujourd’hui. Quelle était sa position ?

— Aujourd’hui, vous êtes territorialement des Québécois alors qu’à l’époque, vous étiez un Québécois de par vos origines Vieille France et par la religion. C’était ce nationalisme, auquel on attribue toutes sortes de sobriquets injustifiés, que défendait Groulx. Il faut le replacer dans son époque. Ça a été la même chose pour Maurice Duplessis. On a accusé Maurice Duplessis d’être un homme de droite, un « fasciste », mais il s’inscrivait dans un courant provenant des Etats-Unis qui influençait l’opinion nord-américaine. C’est vrai que ce n’était pas un homme de gauche, c’était un homme de centre-droite, qu’on a situé à droite dans le style de Salazar, mais c’est trop.

Il ne faut pas oublier que la définition de nation à son époque ne ressemble en rien à celle qu’on lui donne aujourd’hui. Il fallait protéger notre nation qui était principalement rurale, et pour laquelle une ville comme Montréal pouvait être menaçante. Alors c’était un nationalisme qui tournait autour de la protection de cette nation-là. C’est un nationalisme défensif qui se servait de l’expression « canadienne-française » pour s’identifier.

— Vous mentionnez Duplessis, dont le gouvernement fut marqué par l’autonomisme et un certain cléricalisme. Ne représente-t-il pas l’incarnation politique des idées mises de l’avant par le chanoine Groulx ?

— Oui, il n’y a pas de doute que Duplessis, comme Jean Drapeau, a été influencé par Lionel Groulx. Les élites du temps furent influencées par la pensée groulxienne. Auparavant c’était par Henri Bourassa, l’ultracatholique qui défendait l’Eglise catholique française. Ceux qui les dénoncent aujourd’hui ne comprennent pas le contexte de cette époque.

Aujourd’hui, avec la modernité du Québec, le nationalisme a défoncé la fièvre frileuse pour adopter un nationalisme plus ouvert qui crie aux étrangers qui entrent ici de nous respecter, de conjuguer avec nous autres, d’embarquer. C’est un nationalisme plus offensif, contrairement au nationalisme défensif pratiqué par Duplessis, louable pour l’époque.

Ensuite, avec Jean Lesage, c’est la fierté du Québec, c’est le changement, c’est la nationalisation, le « maître chez nous ». Il créa donc un nationalisme, repris par René Lévesque, un nationalisme offensif qui nous incite à bomber le torse et à nous faire valoir. Va pousser derrière ça le RIN de Chaput qui défendait un nationalisme très identitaire. Bourgault, par la suite, qui est un des plus grands orateurs de notre histoire, va métamorphoser ce nationalisme-là pour en faire un nationalisme territorial inclusif. Mais, malgré nos ouvertures envers les différents groupes ethniques, ces derniers n’ont jamais embarqué. Pourquoi ? Parce qu’ils sont nord-américains avant tout.

Aujourd’hui, le nationalisme inclusif fait autant appel aux Vietnamiens, aux Marocains qu’à ceux issus de différentes cultures. Ils n’embarquent pas. Parce qu’ils sont partiellement francophones, on fait venir des gens du Maghreb qui parlent français, oui, mais qui ne s’intègrent pas. C’est une immigration qui ne se conjugue pas avec nous autres, qui nous échappe encore une fois.

 

En promouvant l’immigration francophone, le Québec a sous-estimé le clivage civilisationnel des populations du Maghreb

 

— La langue française cède-t-elle face à l’anglais ?

— Même les nouveaux artistes maintenant ont la boussole orientée vers les Etats-Unis et l’anglais. Les groupes de jeunes ont des noms anglais, la radio ne passe plus de français, la télévision continue à nous diminuer en institutionnalisant la vulgarité joual notamment [voir encadré]. Ça s’appelle empoisonner sa culture lentement. Ça nous affaiblit progressivement, jusqu’à la génération d’imbéciles d’aujourd’hui. La génération qui naîtra après elle va grandir dans un milieu où on se demandera pourquoi apprendre le français.

Nous ne sommes pas assez cultivés et articulés et nous ne connaissons pas notre histoire alors que, si nous étions réellement intéressés à l’enseignement de l’histoire, la génération qui va suivre pourrait peut-être flirter avec l’américanité mais s’apercevoir qu’elle a quelque chose de particulier. Ce n’est pas le cas, contrairement à des pays modernes comme l’Irlande ou Israël. Ils ont des jeunes, eux autres aussi, qui écoutent du rock, regardent le cinéma américain, mais ils ont une culture, notamment religieuse, extrêmement forte, qui est inculquée et historique dans le cerveau de chacun des jeunes. Ce n’est pas notre cas. Dans ce sens-là, notre école a manqué de relever le défi correctement. Nous sommes des lâches, des gens qui suivons les élites qu’on ne peut faire autrement que de qualifier de traîtres.

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