Christian Rioux >
La pire réponse que l’on puisse apporter aux migrants africains est “la politique de la pitié”
— Stephen Smith
En cette époque de « fake news », que n’aura-t-on pas entendu sur l’épisode de l’Aquarius ? Il suffisait d’ouvrir la radio pour entendre les pires énormités sur le sort des 629 migrants que transportait ce bateau affrété par des ONG françaises et que le nouveau gouvernement italien a refusé d’accueillir sur ses côtes.
Ainsi, donc, ces migrants venus de la Libye étaient-ils sur le point de manquer de vivres. Les représentants de SOS Méditerranée ne tarissaient pas de mots pour expliquer devant les caméras qu’ils venaient de distribuer leurs derniers sandwichs. On faisait des gros plans sur ces hommes qui, disait-on aussi, se trouvaient en plein soleil. Un porte-parole confiait ses craintes que le mauvais temps ne se lève et que les rescapés ne doivent affronter des vagues de quatre mètres de haut.
Après 48 heures de ce cirque médiatique, c’est pourtant sans surprise que le bateau devrait être accueilli par le port de Valence, à moins qu’un autre port s’offre pour les accueillir d’ici là. Une fois rescapés à la limite des eaux territoriales libyennes par l’Aquarius, puis escortés par deux navires des gardes-côtes italiens, les migrants n’ont plus couru aucun risque. Comment pouvait-il en être autrement, au beau milieu d’une véritable autoroute maritime à deux pas de quelques-uns des principaux ports de la Méditerranée ?
Dans un livre éclairant, le journaliste Stephen Smith (La ruée vers l’Europe, Grasset) a calculé le risque que couraient ces migrants de mourir noyés en 2015, à une époque où les secours étaient moins bien organisés qu’aujourd’hui. Le taux peut surprendre, mais il était de 0,37 % ! Smith en concluait qu’à la même époque un migrant avait moins de chances de périr en Méditerranée qu’une femme de mourir en couches au Soudan du Sud (1,7 %) et qu’un Français de subir un arrêt cardiovasculaire (0,46 %).
Ces chiffres ne changent évidemment rien au drame des migrants. Il n’y en aurait qu’un seul qu’il faudrait le secourir. Mais tant qu’on détournera pudiquement les yeux de ces réalités pour se complaire dans le misérabilisme humanitaire, on ne pourra pas comprendre pourquoi ils sont toujours des milliers à tenter la traversée. Pourquoi cette traversée attire aujourd’hui surtout des migrants économiques qui ont suffisamment d’argent pour se payer un passeur — les plus miséreux n’ayant pas ces moyens. Ni pourquoi la solution humanitaire, évidemment nécessaire, ne permettra jamais de régler le problème puisqu’elle crée en même temps un appel d’air. Plus on sauvera de personnes, plus il en viendra et plus nombreux seront ceux qui seront prêts à tenter une traversée devenue de moins en moins périlleuse. C’est ici que le bien devient l’ennemi du bien.
Combien de morts faudra-t-il encore pour comprendre enfin qu’il n’y a pas d’autre solution à ce drame, tant pour les migrants que pour l’Europe, que le rétablissement des frontières et leur respect le plus strict ? Si cette frontière avait été respectée, quitte à instaurer un « blocus humanitaire » et à créer des lieux destinés à identifier les véritables réfugiés, comme l’avait suggéré dès 2015 l’ancien ministre Hubert Védrine, nous n’aurions pas tous ces morts sur la conscience.
Mais cela, comment la bureaucratie bruxelloise, qui chante depuis tant d’années la ritournelle jovialiste de la suppression des frontières, pouvait-elle le comprendre ?
Heureusement, les pays n’ont pas attendu qu’elle leur vienne en aide. L’Allemagne a été la première à négocier un accord avec la Turquie pour stopper la vague migratoire. L’Italie n’a pas attendu l’élection d’un gouvernement populiste pour agir. C’est même un ministre de gauche, Marco Minniti, qui a dépêché des militaires au Niger et en Libye afin d’aider à casser les réseaux mafieux qui organisent ces trafics devenus une véritable industrie. Emmanuel Macron a beau snober l’Italie et implorer l’Europe, la France fait exactement la même chose en fermant ses frontières à l’Italie et en s’attaquant aux réseaux de passeurs. En mars, à Niamey, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb s’était félicité des efforts des pays africains afin de « barrer la route du Nord » vers la Libye.
Au fond, le geste de l’Italie aura eu le mérite de mettre en évidence le décalage complet entre les déclarations publiques de ces dirigeants européens, qui ne visent qu’à flatter la fibre « humanitaire » de certains, et l’action de leur gouvernement sur le terrain qui est en train, elle, de donner des résultats. C’est en effet grâce à ces mesures que les flux en Méditerranée ont déjà chuté de manière draconienne et qu’ils devraient continuer à le faire.
On pourrait d’ailleurs se demander ce que fait l’Organisation internationale de la Francophonie afin de contribuer à cet effort. À moins de cas exceptionnels, il n’y a en effet pas de raison pour que des Sénégalais, des Ivoiriens, des Maliens ou des Marocains viennent demander l’asile en Europe.