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La seconde amputation – L’abandon du français par les souverainistes

Alexandre Cormier-Denis

Avant le choc qu’a été la Révolution tranquille, deux jambes tenaient le corps de la Nation canadienne-française : le catholicisme et la langue française. L’Église catholique a été un des principaux piliers de la société canadienne-française depuis la fondation de Montréal, mais c’est surtout suite à l’échec patriote et l’Acte d’union de 1840 qu’elle devient une institution centrale du Canada français. Elle servit de véritable structure étatique pour un peuple sans État. Devant les attaques des Rouges inspirés par les idéaux libéraux et luttant contre Rome qui favorisait systématiquement le clergé irlando-canadien anglophone, l’Église québécoise fut une véritable institution nationale défendant les deux spécificités de notre peuple : la foi catholique et le français.

Amputé d’un membre par la libéralisation des mœurs promue par la contre-culture des années 1960’, la construction sociale-démocrate de l’État québécois a depuis servi de béquille au corps de la Nation. Arraché à nous par l’Histoire, le catholicisme a laissé toute la place à la langue comme vecteur principal d’affirmation nationale. Il y a donc eu un surinvestissement de la question linguistique qui se traduisit par une fixation du camp nationaliste sur cette question. Cela déboucha sur la mise en place, puis la défense, de la Loi 101 mettant en place la Charte de la langue française. Charte qui a été elle-même largement émasculée comme nous le révèle Éric Poirier dans un récent ouvrage.

Manifestation en 1989 contre les infléchissements à la Charte de la langue française souhaité par le Parti libéral de Robert Bourassa

 

Devant ce surinvestissement envers la question du français par le camp nationaliste, il est donc sincèrement inquiétant de voir la dégradation totale de cette question par les soi-disant souverainistes.

Mercredi 30 novembre, le député solidaire Amir Khadir interpella le gouvernement libéral en anglais – au sein même du Salon bleu – afin de l’attaquer sur la question de la corruption systémique. Un échange ahurissant s’en suivit : le ministre Leitao répondant lui aussi en anglais aux questions de M. Khadir.

L’anglicisation du Québec dépassait désormais le cadre des Francofolies qui eurent l’outrecuidance de sélectionner le groupe anglophone hip-hop Dead Obies pour ouvrir le festival cet été. C’est maintenant à l’Assemblée nationale même que se poursuit l’anglicisation décomplexée du Québec.

On pourrait rétorquer que ni MM. Leitao et Khadir ne sont de grands nationalistes et qu’ils défendent une vision canadienne – donc bilingue – de la démocratie québécoise. Malheureusement, cette tendance à la banalisation de l’anglicisation est également présente au sein même du camp souverainiste.

Une semaine auparavant, des capsules publicitaires montraient le chef du Parti Québécois, Jean-François Lisée, et les candidats péquistes aux élections partielles, interpeller les électeurs en anglais et même en espagnol. Spectacle désolant pour un parti qui est censé défendre le français comme la langue officielle de la Nation et comme « langue commune » devant être partagée par tous dans l’espace public. Ainsi, le chef du Parti Québécois, devant incarner la défense systématique de langue française devant l’anglicisation de nos institutions et l’impérialisme culturel de nos 300 millions de voisins anglophones entérine l’idée qu’il est possible, voire souhaitable, de parler uniquement qu’en anglais au Québec.

Lisée nous promet – en anglais – de ne pas promouvoir la souveraineté pendant 6 ans. Génial !

 

Pire, par cette campagne publicitaire, M. Lisée promeut l’unilinguisme anglophone. Il envoie le message très clair aux anglophones et aux allophones du Québec qu’il est tout-à-fait normal de ne parler uniquement anglais puisque lui-même, chef de la formation souverainiste au Québec, s’adresse à eux dans la langue de l’impérialisme anglo-saxon.

Spectacle désolant pour l’ensemble des amoureux du français et de ceux qui ont investi la cause de la langue pendant des décennies. Comment le représentant de la cause nationale peut-il avoir si peu de jugement sur cette question épineuse qu’est la défense de la langue française ?

Au lieu de corroborer une logique communautariste et de faire un racolage électoral aussi humiliant qu’inutile – comme si les Anglais allaient être dupes de l’enfumage liséen – le Parti Québécois devrait dénoncer la collusion des communautés ethniques avec le Parti Libéral et davantage mobiliser les sentiments nationalistes des Québécois afin de ramener en son sein l’électorat passé à la droite autonomiste.

Le nouvel électorat ciblé par le PQ sera-t-il convaincu par Lisée ?
Mystère…

 

Avec la collaboration active des souverainistes, il serait aberrant que le Québec vive une seconde amputation nationale. Ayant jeté le catholicisme aux oubliettes, les néo-nationalistes – héritiers de la sacro-sainte Révolution tranquille – s’apprêtent-ils à se soumettre à la logique progressiste de l’anglicisation généralisée afin de ne pas apparaître «intolérants» et «dogmatiques» aux yeux de leurs adversaires ?

Pour continuer à promouvoir la souveraineté – ce que ne fait visiblement pas M. Lisée dans ces fameuses capsules publicitaires en anglais où il se vante de ne surtout pas la promouvoir pour les six prochaines années – il faudrait déjà que la Nation québécoise continue d’exister. Sans la défense minimale de la Nation, donc de sa langue, de ses institutions, de son histoire et de sa légitimité politique, la souveraineté du Québec n’a strictement aucun sens.

Il serait utile que les représentants officiels du souverainisme s’en souviennent pour que nous évitions de devenir culs-de-jatte.

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