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Sortir du référendisme : le cas catalan vu du Québec

Sasha-A. Gauthier >

Notre pays s’est toujours fondé, dans ses décisions de reconnaissance d’un État, sur le principe de l’effectivité, qui implique l’existence d’un pouvoir responsable et indépendant s’exerçant sur un territoire et une population.

 François Mitterrand

Le référendum du 1er octobre dernier en Catalogne n’a permis aucune reconnaissance internationale. La Catalogne n’est pas indépendante.

Et pour cause.

El estado (l’État espagnol), c’est ainsi que les catalans nomment leur gouvernement central, a saisi les bulletins de vote, les urnes, les isoloirs et même tout le matériel promotionnel concernant le vote ou l’option du Si. El estado a poursuivi les organisateurs, les ont arrêtés, interrogés et mis à l’amende, certains ont même séjourné en prison comme de vulgaires criminels. El estado a appelé en renfort 10 000 policiers, fermé l’espace aérien de Barcelone le jour du vote, a fermé les bureaux de votes de force, a blessé des votants avec des matraques et des balles en caoutchouc, a arrêté et interrogé des journalistes sympathiques aux indépendantistes et harcelé leurs journaux. Et bien d’autres forfaits encore. La Generalitat catalane, quant à elle, a été mise sous tutelle, tout comme sa police, ses fonctionnaires et ses finances. Le gouvernement catalan, frappé d’incapacité, est visiblement ineffectif, c’est l’évidence. Bien que le gouvernement catalan ait réussi à déclarer un résultat lui étant fortement favorable le soir du référendum, celui-ci a été clairement entravé par el estado qui a démontré son effectivité sur le territoire catalan.

À première vue, la dureté de la réponse espagnole donne l’impression d’un relent franquiste tellement cette attaque contre les institutions démocratiques catalane semblent démesurée. Immédiatement, ce questionnement naturel nous vient à l’esprit : les Catalans n’ont-ils pas des droits fondamentaux tels que le fameux droit sacré des peuples à l’autodétermination externe? En Conséquence de celui-ci, le peuple catalan doit disposer d’un droit à être consulté, logiquement.

Madrid a déployé la Garde civile pour empêcher la tenue d’un référendum jugé illégal par la Cour constitutionnelle espagnole

À cet effet, le 13 septembre dernier l’IRAI (Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales) fondé par Daniel Turp et Pierre-Karl Péladeau a publié un rapport d’experts internationaux sur le processus référendaire en Catalogne. Celui-ci conclu :

les vues exprimées par la Cour internationale de justice ont contribué à rétablir la portée originelle du droit à l’autodétermination, qui comprend le droit pour « tous » les peuples d’établir un État souverain et indépendant consacré dans la Charte des Nations Unies, tel qu’il est interprété par la Déclaration sur les relations amicales et dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Espagne est liée. Nous estimons dès lors que l’Espagne doit, conformément à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, exécuter de bonne foi ces traités internationaux.

Voilà une conclusion rassurante pour les souverainistes québécois, d’autant plus que l’étude se base sur des écrits de la Cour internationale de justice, rien de moins.

Pourtant, ni l’ONU, ni l’Union européenne – dans laquelle les indépendantistes catalans ont des représentants élus de plein droit – , ni aucun autre État souverain n’a dénoncé l’action anti-démocratique de Madrid. Aucun État n’a demandé à Madrid de s’asseoir avec la Generalitat catalane afin de respecter le droit de ce peuple à l’autodétermination externe comme de celui d’être consulté sur son avenir politique, des droits pourtant confirmés par cette étude. Aucun État ne reconnait non plus le résultat du référendum. Il semble que tous les États et toutes les organisations inter-étatiques ignorent que Madrid viole, selon cette étude, des droits reconnus par la Cour internationale de justice. Selon l’IRAI : « l’Espagne doit (…) exécuter de bonne foi ces traités internationaux ». Pourtant tous les États souverains et toutes les organisations internationales réfèrent à la constitution espagnole qui proclame l’indivisibilité du Royaume et, en conséquence, interdit l’organisation d’un référendum sur l’indépendance.

Cette contradiction flagrante entre les conclusions de l’étude et l’action réelle des États du monde est troublante. Si nous acceptons le raisonnement de l’IRAI, nous faisons face à deux réactions incompréhensibles. D’abord, celle de Madrid qui viole le droit des peuples à l’autodétermination. Pourtant l’Espagne, même du temps du général Franco, a accepté de quitter le Sahara occidental suite à un jugement de la Cour internationale de justice en 1975. Ensuite, il y a la réaction de tous les États souverains et toutes les organisations internationales qui, unanimes, semblent prendre parti pour l’État espagnol dans sa violation du droit international. Pourtant, il est extrêmement rare de voir tous les États unanimes, peu importe le sujet.

Le droit à l’autodétermination ne s’applique ni pour la Catalogne, ni pour le Québec

Afin de comprendre cette contradiction, il faut souligner que cette même étude soulève un bémol important : « Certains experts continuent d’appuyer l’idée selon laquelle le droit à l’autodétermination – et notamment le droit d’établir un État souverain et indépendant – n’appartient qu’aux peuples coloniaux ou opprimés ». Le premier expert cité concernant cette affirmation, James Crawford, est professeur en droit international public à l’Université de Cambridge. Cet expert affirme, contrairement à ce que conclu l’étude, que la Catalogne n’a pas de droit automatique à l’autodétermination externe puisqu’elle n’est pas une colonie. Mais, à sa décharge, l’étude se base sur les écrits de la Cour internationale de justice pour invalider l’interprétation de Crawford.

 

James Crawford, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université de Sydney

 

Et c’est ici qu’il y a un hic. Ce James Crawford cité par l’étude est actuellement juge à cette fameuse Cour internationale de justice qui supposément contredit ses dires. Les auteurs de l’étude semblent ignorer ce fait. Si James Crawford, qui a un cv impressionnant en tant que professionnel du droit international, est actuellement juge à la Cour internationale de justice, c’est bien parce qu’il a les compétences, les connaissances, la compréhension et le prestige nécessaire afin d’occuper ce poste. Son « opinion » revêt ainsi une dimension particulière. Sa crédibilité est totale.

Crawford explique dans son ouvrage The Creation of States in International Law (2006) que dans les cas non-coloniaux, comme le Québec et la Catalogne : « le droit international positif ne reconnaît pas un droit aux groupes nationaux, comme tels, de se séparer d’eux-mêmes de l’État duquel ils font partie par la simple expression de leur volonté. » P.391. Selon Crawford, « L’exigence qu’un État putatif (potentiel) ait un gouvernement effectif doit être considérée comme le plus important dans sa volonté d’obtenir le statut d’État (de jure). » P.55. Ainsi, Crawford explique de manière satisfaisante le fondement sur lequel Madrid se base afin de combattre les indépendantistes catalans et la met en confiance.

Madrid n’a pas à respecter un droit qui n’existe pas, tout simplement, et la démonstration de force qu’elle a exercé lors du vote servait à démontrer son effectivité sur le territoire catalan tout comme l’ineffectivité de la Generalitat sur un territoire et une population dont elle estime vouloir l’indépendance pour le gouverner. Voilà qui explique les actions musclées d’el estado; concernant la réaction des tiers États Crawford explique que lorsqu’un territoire non-colonial cherche à faire sécession :

Les tiers États doivent demeurer neutre durant un tel conflit, dans le sens que l’assistance à un groupe qui n’a pas réussi à établir son indépendance (donc son effectivité) peut être accusé d’interventionnisme dans les affaires internes de l’État en question, ou comme une violation de sa neutralité. (P.390)

Voilà qui explique de manière satisfaisante, encore une fois, le silence de tous les États souverains et de toutes les organisations internationales qui réfèrent constamment à la constitution espagnole donc aux affaires internes de l’Espagne. Crawford, contrairement à l’étude de l’IRAI, apporte non seulement des explications satisfaisantes aux comportements étatiques, mais les a prédits considérant que ses textes datent de 2006 et que l’indépendantisme catalan n’était à ce moment qu’embryonnaire.

Alors apparaît la question de la crédibilité de l’IRAI. Il ne faut pas oublier qu’un institut qui effectue des études fait appel à la science, c’est-à-dire un « ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales. » (Larousse). Ce concept réfère à la prédictivité. La prédictivité est l’essence de la science. Si l’on effectue une étude, elle doit se vérifier dans les faits et sur le terrain. Or, il suffit de lire les journaux pour voir que l’étude de l’IRAI exprime davantage un souhait qu’elle ne décrit la réalité. Ceci est problématique quant à la crédibilité du jeune institut. L’étude publiée le 13 septembre dernier a été incapable de prédire la réaction du gouvernement espagnol qui était pourtant publique depuis le printemps dernier.

Référendum, piège à cons ?

Alors une question se pose : pourquoi certains cherchent-ils tant à crédibiliser le référendum, allant jusqu’à inventer l’existence d’un droit à l’autodétermination externe universel alors que ce plébiscite n’a pas la portée exécutive qu’on lui prête? Ce qui se passe en Espagne le prouve. Ironiquement, le panéliste invité au colloque de l’IRAI le 10 novembre prochain qui porte justement sur la question d’un nouveau droit international conférant à tous les peuples un droit externe à l’autodétermination, le professeur Emmanuel Castellarin apporte une explication satisfaisante à cet imbroglio lors d’une entrevue qu’il a accordé à Libération le 21 septembre dernier :

Théoriquement, le but de ce type de consultations est l’indépendance, mais souvent, elles visent surtout à négocier une autonomie accrue de la zone. Le référendum peut alors être utilisé comme un levier politique, et servir lors d’une négociation ultérieure.

Au Québec, le politologue Léon Dion résumait ce levier sous l’image très connue du « couteau sous la gorge », donnant ainsi un effet dramatique. Cependant, soyons conséquent, si le référendum ne peut pas donner l’indépendance, y a-t-il réellement un couteau sous la gorge? De plus, il suffit de lire la question posée lors référendum de 1980 pour comprendre qu’elle ne portait pas sur l’indépendance mais sur une réforme de la constitution canadienne basée sur l’égalité des deux peuples fondateurs. Robert Bourrassa a joué à ce jeu suite à l’échec des accords du lac Meech en 1990, mais n’a obtenu que le compromis de Charlottetown qui fut rejeté en 1992. Bref, rares sont les États qui acceptent de négocier une décentralisation des pouvoirs, ou ont la capacité constitutionnelle d’accorder un tel changement. L’Espagne a manifesté durement son refus, le Canada l’a fait à sa manière, plus hypocritement. Chose certaine, le référendum est loin d’être l’apanage des indépendantistes du monde qui préfèrent généralement des méthodes plus directes particulièrement dans les cas non-coloniaux – la réaction espagnole au référendum catalan suffit à la démonstration – ; par contre il est bel bien l’apanage des fédéralistes et des autonomistes qui profitent de la mobilisation indépendantiste et la détourne de son sens principal afin de faire fléchir le gouvernement central et les réseaux qui l’appuient dans le sens d’une décentralisation. C’est peut-être ici qu’intervient véritablement l’IRAI : inventer un droit automatique des peuples à l’autodétermination externe afin de justifier l’utilisation du référendum, méthode qui n’est fonctionnelle que dans les cas coloniaux. L’essentiel des profanes indépendantistes ignorant cette distinction, la confusion est parfaite.

 

Le référendum sur l’indépendance du kurdistan irakien a été remporté sans qu’aucun État – sauf Israël – ne reconnaisse sa validité

 

Cependant, les États centraux sont bien au fait d’un droit international qui protège l’intégrité de leur territoire et qui empêche les tiers États d’intervenir, réduisant ainsi leurs incertitudes face à de tels plébiscites, donc au chantage qu’ils supposent, on l’a très bien vu en Espagne. Malgré le cas d’une victoire convaincante, en Catalogne comme celle du Kurdistan irakien le 25 septembre dernier qui a obtenu 92% de votes favorables, le Kurdistan comme la Catalogne n’ont obtenu aucune reconnaissance internationale. De plus, si l’on désire réellement réussir cette stratégie référendiste au Québec, il faudrait à tout le moins réussir à gagner un référendum, ce qui est loin d’être le cas. Alors, pourquoi se maintient-elle? Parce que dans l’état actuel des choses, le référendum sert dans les faits de dernier fusible afin de défendre l’intégrité territoriale du Canada. On l’a vu en 1995.

Seule une approche effectiviste permettrait l’indépendance d’un État qui désire effectivement l’indépendance. Le cas catalan est clairement démonstratif qu’une stratégie uniquement basée sur le plébiscite est un lamentable échec. Aucun État n’a aidé la Catalogne avant, pendant ni après le vote. Certes, l’action musclée de Madrid a mobilisé une population qui semble plus déterminée que jamais, mobilisation qui manque actuellement au Québec. Mais le Québec autrefois était fortement mobilisé, d’abord au lendemain du coup d’État constitutionnel de 1982 comme au lendemain du référendum volé de 1995. Mais il ne s’est rien passé, on attendait après un autre référendum qui n’est jamais venu. Alors à quoi bon disposer d’un tel potentiel politique si c’est pour espérer, un jour, un référendum gagnant qui ne donne rien.

Lire la publication originale ici.

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2 commentaires

  1. qu’est-ce qu’une « approche effectiviste » ?

    merci

  2. D’abord, qu’est-ce que l’effectivité ? L’on pourrait résumer l’effectivité à une indépendance de fait (de facto). Plus précisément, il s’agit d’un rapport dirigeant/dirigé, dans la presque totalité des cas un gouvernement et une population sur un territoire déterminé, où ce gouvernement est effectivement obéi par la presque totalité de la population. Lorsqu’on affirme qu’un gouvernement est effectif, c’est qu’il est le seul à diriger une population sur un territoire. Ainsi, les gouvernements catalans et québécois ne sont pas effectifs présentement puisque l’autorité du gouvernement central s’y trouve. Et ils doivent rechercher leur effectivité complète afin de réussir leur indépendance.

    Alors concernant une démarche effectiviste, elle s’inscrit dans le rétablissement de la politique et des rapports de force et vise à prendre tous les moyens possibles afin d’évacuer le gouvernement central et ses commis du territoire contesté.

    Les rapports de forces sont d’abord des lois anticonstitutionnelles qualifiées de révolutionnaires adoptées à l’Assemblée législatives qui organise sa seule autorité sur le territoire. Le gouvernement central, sous l’ancienne légalité tente de résister à cette évacuation de son autorité. Ainsi, il s’agit pour le gouvernement sécessionniste de faire appliquer la loi votée par son Parlement ou son Assemblée. Ainsi, il s’agit de toutes les mesures administratives (récupération de tous les impôts, organisation de toute la judicature, obéissance de tous les fonctionnaires par la force s’il le faut, application de ses lois uniquement et que ses lois seulement soient obéis) qui ultimement contesté peuvent aboutir à la violence armée il faut en avoir conscience.

    Petite parenthèse ici : la différence entre les cas d’indépendance violents ou pacifique ne tient pas à un choix de méthode, notamment le référendum, comme certains péquistes sous-entendent. Il tient surtout au degré de résistance de l’État central. Les Tchèques n’ont pas résisté aux Slovaques d’où l’indépendance de velours sans référendum. En Bosnie-Herzégovine et au Kosovo il y eut un référendum… après une guerre civile avec la Serbie.

    Donc, quelque fois une situation stratégique peut, sans effectivité totale, forcer une négociation de l’indépendance. Par exemple, pour nous au Québec une telle démarche effective de l’utilisation d’un important rapport de force serait de monter le dispositif étatique (police, armée québécoise) afin d’être en capacité de bloquer définitivement la voie maritime du St-Laurent. Considérant les échanges que représente ce « canal de Suez québécois » entre le centre du continent et plus de 60 pays, ceci forcerait tous ces pays à entrer en négociation avec le Québec afin de laisser passer ses marchandises, forme de reconnaissance internationale implicite et début d’indépendance. Si le Canada est incapable de restaurer son autorité suite à un tel blocage, l’action diplomatique et économique des tiers États pousseront le Canada à négocier. C’est un peu comme ça que Nasser brisa définitivement les empires territoriaux avec la nationalisation puis la guerre du canal de Suez en 1956. Pierre Bourgault a, à sa manière particulièrement colorée, déjà exprimé un tel projet.

    Dans les faits, rare sont les effectivités totales lorsqu’il y a reconnaissance, mais elle doit être franchement convaincante. Les États centraux, lorsqu’ils comprennent qu’ils ont été battus, lorsqu’ils sont en incapacité technique de rétablir leur autorité, et que l’autorité du gouvernement sécessionniste semble perdurer dans le temps, démarrent à cette étape là les négociations nécessaires afin d’établir l’indépendance de jure de l’État sécessionniste. Pas par amitié bien sûr, mais pour maintenir un certain niveau de relations acceptables.

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