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L’ex-ministre de la Justice, la libérale Weil prise dans un scandale de collusion et de prête-nom

Frédéric Zalac et Harvey Cashore >

L’ex-ministre libérale Kathleen Weil a servi de prête-nom pour des contributions illégales de SNC-Lavalin au Parti libéral du Canada (PLC), selon un document confidentiel du Commissaire aux élections du Canada obtenu par Enquête et The Fifth Estate. La députée de Notre-Dame-de-Grâce soutient qu’il s’agit d’une erreur : « Je n’aurais jamais et je n’ai jamais agi comme prête-nom. »

Un document confidentiel envoyé au Parti libéral du Canada en août 2016, obtenu par CBC/Radio-Canada, révèle les noms de plusieurs cadres de SNC-Lavalin, ainsi que de quelques conjointes, liés à un stratagème de contributions politiques illégales.

Cette liste émane du Commissaire aux élections fédérales, le haut fonctionnaire chargé de veiller à l’observation de la Loi électorale du Canada, qui a fait enquête sur un système de prête-noms mis sur pied par la société d’ingénierie.

L’enquête du commissaire révèle que sur une période de plus de cinq ans, soit de 2004 à 2009, 18 anciens employés de SNC-Lavalin et des conjointes ont versé près de 110 000 $ aux libéraux fédéraux incluant des contributions à quatre candidats à la course à la direction du Parti libéral du Canada et à quatre associations de circonscription au Québec.

Selon le document confidentiel, SNC-Lavalin a remboursé tous ces employés pour les dons qu’ils ont effectués – une pratique interdite par la loi électorale du Canada. Depuis 2004, les entreprises n’ont plus le droit de faire des dons aux partis politiques fédéraux.

L’enquête du commissaire a déterminé que l’entreprise montréalaise avait aussi effectué des dons illégaux au Parti conservateur, mais pour un montant inférieur. Le total pour le Parti conservateur et des associations de circonscription au Québec s’élève à 8188 $.

Pas de pénalités pour SNC-Lavalin

À l’issue de son enquête, le commissaire n’a porté aucune accusation contre SNC-Lavalin. En 2016, il a plutôt conclu une entente de transaction sans pénalité avec l’entreprise après que le géant de l’ingénierie québécois s’est engagé à ne plus enfreindre la loi électorale.

« SNC-Lavalin s’en tire à bon compte. Je suis surpris que la compagnie ait obtenu un contrat d’entente étant donné les faits en cause », croit Jeff Ayotte, un avocat spécialisé en droit électoral canadien qui a représenté un ancien député conservateur accusé d’avoir enfreint la loi électorale.

Nous savons que les décisions entourant ce stratagème ont été prises aux plus hauts échelons de SNC-Lavalin, […] ça me porte à croire qu’on aurait dû plutôt porter des accusations.

 Jeff Ayotte, avocat spécialisé en droit électoral canadien

Un seul haut dirigeant de SNC-Lavalin a été mis en accusation. SNC n’a jamais voulu révéler les noms des autres employés qui ont reçu des remboursements.

SNC-Lavalin n’a pas répondu aux appels de CBC/Radio-Canada. Le président actuel de la société, Neil Bruce, qui a signé le contrat d’entente, a déclaré dans cet accord que tous les hauts dirigeants impliqués dans ce stratagème avaient quitté la société d’ingénierie en 2016.

« Je n’ai jamais agi comme prête-nom »

En août 2016, le Commissaire aux élections a divulgué au Parti libéral et au Parti conservateur les noms des employés et les montants en cause afin que les contributions illégitimes soient versées au trésor public. Les partis ont remboursé l’argent au receveur général du Canada.

CBC/Radio-Canada a demandé aux deux partis de fournir les listes respectives d’employés de SNC-Lavalin qui avaient reçu des remboursements pour les contributions politiques. Le Parti conservateur a immédiatement fourni sa liste de noms. En revanche, le Parti libéral a refusé.

La liste secrète envoyée au PLC, obtenue par Enquête et The Fifth Estate, contient les noms de plusieurs hauts dirigeants de SNC-Lavalin de l’époque et, dans certains cas, de leurs conjointes.

Le nom de Kathleen Weil, épouse de l’ancien cadre supérieur de SNC-Lavalin, Michael Novak, y apparaît. Mme Weil est l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Québec. Elle est députée de la circonscription de Notre-Dame-de-Grâce pour le Parti libéral du Québec.

La liste montre que le 30 juin 2004, quatre ans avant son élection à l’Assemblée nationale du Québec, elle a fait un don de 5000 $ aux libéraux fédéraux. Selon la lettre du Commissaire aux élections fédérales, ce don a été remboursé par SNC-Lavalin.

Mme Weil a versé sa contribution le même jour où neuf autres dirigeants de SNC-Lavalin ou leurs conjointes ont fait des dons similaires.

Lors d’un appel téléphonique avec CBC/Radio Canada, Mme Weil a nié qu’elle ou son mari aient été remboursés de quelque façon que ce soit. « Je n’aurais jamais eu et je n’ai jamais agi en tant que prête-nom », a-t-elle dit.

Mes dons aux partis politiques ont toujours été faits de bonne foi et à titre personnel, sans compensation ni contrepartie, et sans remboursement ou promesse de remboursement de qui que ce soit.

 Kathleen Weil, députée libérale provinciale de Notre-Dame-de-Grâce

Le conjoint de l’ex-ministre, Michael Novak, a également fermement nié avoir reçu des bonis pour rembourser ses propres contributions politiques ou celles de sa conjointe.

Dans la lettre envoyée au PLC, le Commissaire aux élections fédérales a déclaré que Michael Novak a fait trois dons pour lesquels il a été remboursé 5672,91 $ au total par SNC-Lavalin en 2004 et 2008.

Joint au téléphone, M. Novak dit avoir rencontré les enquêteurs du commissaire en 2014 et les avoir informés qu’ils s’étaient trompés. « Nous n’avons jamais été remboursés », déclare-t-il.

M. Novak confirme avoir reçu de nombreux bonis de SNC-Lavalin au fil des ans, mais à sa connaissance, aucun n’était lié à ses dons politiques. Si les enquêteurs ont trouvé des preuves de remboursements de SNC-Lavalin sous forme de bonis, « tout cela a été fait à mon insu », dit-il.

M. Novak confirme que SNC-Lavalin a activement encouragé les dirigeants de la firme d’ingénierie à faire des dons politiques et à amasser des chèques qui étaient ensuite remis au PLC.

Mais il n’y avait « rien de fâcheux » à faire de tels dons, affirme-t-il. Il ajoute ne pas avoir été au courant de l’existence d’un plan de remboursement illégal avant d’entendre des rumeurs à cet effet en 2010.

« Nous avons reçu des bonis »

La plupart des hauts dirigeants dont les noms apparaissent sur la liste ont refusé d’être interviewés par CBC/Radio-Canada. Mais deux employés non cadres de SNC-Lavalin nous ont confié qu’on leur avait bel et bien indiqué que leurs dons politiques seraient remboursés sous forme de bonis.

Contacté à sa résidence de Saint-Bruno, au Québec, l’ingénieur à la retraite Jean Lefebvre dit qu’on l’avait spécifiquement invité à faire des dons aux libéraux. « On me demandait de donner au Parti libéral particulièrement. C’était bien défini dans mon cas », explique-t-il.

« Il y a un boni qui suivait et on était remboursé le double du montant qu’on donnait pour payer les impôts », a-t-il expliqué. SNC couvrait ainsi le montant d’impôt qu’il devait débourser en raison du revenu supplémentaire.

Jean Lefebvre dit avoir assumé que les activités de financement politique avaient reçu l’aval des conseillers juridiques de l’entreprise. « Je dormais à l’aise avec ça et me je me disais, coudonc, ça a dû être vérifié par notre juridique. »

Le Commissaire aux élections a porté des accusations contre un seul haut dirigeant de l’entreprise. En mai 2018, Normand Morin, ancien vice-président de SNC, a été accusé d’avoir violé la Loi électorale du Canada en « agissant de connivence avec certains hauts dirigeants de SNC-Lavalin et en sollicitant des contributions au nom d’entités politiques fédérales ».

Il a reçu une amende de 2000 $.

Cette reconnaissance de culpabilité a permis d’éviter un procès qui aurait été susceptible d’exposer plus de détails au sujet du stratagème de SNC-Lavalin – y compris les noms des cadres et employés et des collecteurs de fonds des partis politiques.

Dans une entrevue téléphonique, Normand Morin a déclaré qu’il ne savait pas pourquoi il était le seul qui a été tenu responsable. « C’est un mystère pour moi », a-t-il déclaré.

Il a refusé de nommer ses contacts au Parti libéral fédéral. « Il y avait beaucoup de monde, a-t-il déclaré. Vous devriez orienter votre enquête vers les partis. »

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