Christian Rioux
« Je voué ainque la tristesse tout partout. Bien des foi quand y’a bien du monde qui ri moi j’wé pas rien droll. » La phrase est touchante et va droit au coeur. Mais elle ne sera comprise que des lecteurs avertis. Dans le monde francophone et même au Québec, on n’y verra qu’un charabia exotique et incompréhensible. La phrase d’un illettré. Elle a pourtant été écrite par l’un des meilleurs écrivains du siècle dernier, notre compatriote Jack Kérouac.
La publication récente de ses textes en français (La Vie est d’hommage, Boréal) offre une illustration du degré de décomposition que peut atteindre une langue lorsqu’elle est dominée. Et les choses peuvent aller vite. Il aura fallu moins d’une génération pour que cet homme d’une intelligence et d’une sensibilité pourtant exceptionnelles désapprenne à peu près complètement sa langue maternelle. Sauf pour les spécialistes qui y consacreront le temps et l’énergie nécessaires, ce livre est pratiquement illisible.
C’est à Kérouac que j’ai pensé en apprenant que, en 2016, des enseignants du primaire utilisaient une méthode en anglais pour apprendre aux petits Québécois à écrire… en français ! C’est ce que révélait en effet Le Devoir, mercredi dernier, dans un texte signé par l’enseignant Éric Cornellier.