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Lettre envoyé à Mme Sonia Lebel, ministre de la Justice.
La représentation proportionnelle est un système éminemment raisonnable et évidemment juste ; seulement, partout où on l’a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d’une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher.
— Alain
La réflexion ci-dessus m’est venue à l’esprit, Madame la Ministre de la Justice, quand je vous ai entendue commenter un sondage selon lequel la majorité des Québécois souhaiteraient que le gouvernement Legault change notre mode de scrutin.
Je me suis également souvenu que l’affaire était commanditée par le Mouvement démocratie nouvelle (MDN), qui fait intensément campagne en faveur de la proportionnelle et auquel votre ministère vient d’accorder une subvention.
MINISTRES NON ÉLUS
Le fait que certaines questions de ce sondage étaient tendancieuses et que les deux tiers des Québécois n’avaient pas entendu parler de la réforme du mode de scrutin dans les semaines antérieures ne vous a pas empêchée, à ma surprise, d’affirmer que cela révélait qu’il y avait consensus au Québec là-dessus ; heureusement, vous avez également mentionné que vous resteriez à l’écoute des citoyens cet été.
Étant moi-même un citoyen qui s’intéresse à l’affaire, je prends donc la liberté d’attirer votre attention sur certains points qui m’apparaissent importants.
Il est tout d’abord normal que plusieurs Québécois aient une impression positive d’une proportionnelle qui leur semble plus juste, car il n’y a jamais eu de débat de fond sur le sujet ici. Le récent référendum en Colombie-Britannique a montré qu’il existe une différence importante entre l’appui populaire mesuré par sondage au principe d’une réforme du mode de scrutin et l’appui à un projet concret.
Au-delà des premières impressions, vous devriez donc, Madame la Ministre, poser les questions suivantes aux citoyens que vous rencontrerez cet été.
Sont-ils d’accord avec une réforme qui permettrait à des non-élus de siéger comme députés ou de devenir ministres, tout en soumettant à une règle mathématique conçue par des experts la détermination de qui, parmi ces non-élus, deviendra député ?
Par ailleurs, comment ces citoyens réagiront-ils quand vous leur apprendrez qu’ils ne connaîtront plus leur nouveau gouvernement et ses priorités le soir des élections, comme maintenant, mais après des tractations confidentielles entre les appareils des partis pouvant durer des jours, voire des semaines – cela a pris des mois l’année dernière dans l’Allemagne d’Angela Merkel ?
Que penseront les Québécois d’un système qui aura tendance à maintenir en place les mêmes politiciens sans possibilité réelle de les congédier ? Seront-ils favorables à une réforme qui risque de donner une voix à l’Assemblée nationale à des groupes radicaux ou extrémistes ?
POUVOIR QUÉBÉCOIS
Mais surtout, Madame la Ministre, vous devriez demander aux Québécois s’ils veulent d’une réforme qui diminuera substantiellement le pouvoir du seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone sur le continent de même que le poids politique de cette majorité, alors que les premiers ministres des autres provinces, eux, resteront solides.
Bon, je conviens que cela ne sera pas facile d’échanger sur ces choses avec des Québécois en maillots de bain autour du barbecue ou de la piscine. Je conviens également que je fais essentiellement ressortir ici certains inconvénients de la proportionnelle.
Mais justement, Madame la Ministre, plus qu’à un échange avec vous autour du barbecue, il me semble – avec François Cardinal, Lysiane Gagnon, Paul Journet, Joseph Facal, Mario Dumont, Loïc Tassé, Louis Sormany et de plus en plus d’autres – que les Québécois ont droit dans cette affaire à un débat de fond où on leur présentera les différents côtés de la médaille.
SUBVENTION AU MOUVEMENT DÉMOCRATIE NOUVELLE
C’est pourquoi je n’en reviens pas que vous ayez accordé une subvention de 250 000 $ – un quart de million, quand même ! – à un organisme aussi biaisé que le Mouvement démocratie nouvelle. N’y avait-il pas des fonctionnaires capables de faire ce travail de façon efficace et, surtout, plus crédible ?
Êtes-vous au courant, Madame la Ministre, du communiqué du MDN annonçant la tenue, le 8 juin dernier, d’un cours sur l’écriture de lettres aux courriers des lecteurs des journaux de manière à « prendre le contrôle de la trame narrative » (sic) dans le débat sur la proportionnelle ?