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Du communisme, rien n’est défendable

Christian Rioux >

Même aux pires heures du stalinisme, l’humour demeura un des rares lieux de liberté en URSS. Parmi les nombreuses blagues qui circulaient alors sous le manteau, on connaît celle-ci : un homme demande à son voisin ce que l’on trouvera dans l’encyclopédie en 2050 sous la rubrique « Hitler ». Et le même homme de répondre : « Petit tyran de l’époque stalinienne » !

Cent ans jour pour jour après le coup d’État bolchevique qui se déroula dans la nuit du 24 au 25 octobre 2017 (du calendrier Julien), l’historien Thierry Wolton estime que « c’est Staline qui définit l’époque. Le XXe siècle a été le siècle du communisme. D’ailleurs, même s’il a perdu son éclat, le communisme existe toujours dans une demi-douzaine de pays. »

À l’occasion de cet anniversaire, l’historien publie le troisième et dernier tome de son oeuvre monumentale intitulée Une histoire mondiale du communisme (Grasset). Une somme colossale de plus de 4000 pages qui fourmille de documents passionnants. Après Les bourreaux et Les victimes, voici venu le temps des Complices, ceux qui à l’Ouest se sont faits les « compagnons de route » de ce totalitarisme.

On s’attendrait à ce que l’auteur, né en 1951, ait lui-même flirté avec le communisme dans sa jeunesse. Pas du tout puisqu’il dit avoir été vacciné très jeune contre cette idéologie après avoir vu le film, et surtout lu le livre, Docteur Jivago. « Ça vous guérit définitivement, dit-il. D’autant plus que j’étais secrètement amoureux de Julie Christie. Dès mes 17 ans, on ne pouvait plus me faire le coup ! »

À 24 ans, Thierry Wolton entre au journal Libération pour couvrir les pays de l’Est où il se rend souvent. Ce sera la grande époque des dissidents qui, de Sakharov à Soljenitsyne, en passant par Havel et Michnik, vont commencer à se faire entendre à l’Ouest après s’être longtemps fait traiter par les élites intellectuelles de traîtres, de réactionnaires et même d’antisémites. « J’ai été très attaqué à cette époque, dit Wolton. On a finalement écouté les dissidents, mais le soufflé est vite retombé. »

 

Alexandre Soljenitsyne, le plus connu des dissidents soviétique. Il tombera en disgrâce pour la presse occidentale en raison de son attachement au christianisme.

 

La naissance d’un mythe

Pour Wolton comme pour nombre d’historiens, l’idée de la « révolution » d’octobre est un mythe qui s’est constitué après 1917. « Il ne s’agit pas d’une révolution, mais bien d’un coup d’État, dit-il. Comme dans tous les régimes qui se sont revendiqués du communisme, une poignée d’agitateurs a pris le pouvoir. Comme la classe ouvrière ne voulait rien savoir de la révolution, c’est une minorité qui s’est chargée de la faire à sa place. D’où cette guerre civile permanente qui va suivre entre l’État et le peuple, et même au sein du parti. »

À l’époque, le journal du socialiste Jean Jaurès, L’Humanité, ne s’y trompe pas. Il dénonce les « soudards » et les « bandits » qui ont pris le pouvoir à Moscou. Dès le début, des intellectuels comme le philosophe anglais Bertrand Russel, le journaliste français Albert Londres et l’écrivain polonais Joseph Conrad décrivent un chaos révolutionnaire et une guerre civile où « l’homme est redevenu un loup pour l’homme » (A. Londres).

Alors, d’où vient ce mythe ? On commença à le construire lors du troisième anniversaire d’octobre 1917, dit Wolton. Le parti organise alors un gigantesque spectacle son et lumière devant le Palais d’hiver avec 20 000 figurants et 60 000 spectateurs. « Progressivement, avec notamment le film d’Eisenstein Octobre, réalisé en 1927, la fiction va devenir la réalité. On va tout verrouiller. La grande liberté qui se manifeste chez les artistes sera rapidement étouffée pour imposer l’image d’un paradis sur terre. Le plus étonnant, c’est que plus le mensonge sera gros, plus il passera. »

 

La famille de Nicolas II – dernier tsar de toutes les Russies – massacrée par les bolcheviques

 

Aveuglement à gauche

Cent ans plus tard, de la Russie à la Chine, du Vietnam à la Corée du Nord, le communisme a fait plus de morts que les deux guerres mondiales réunies, dit Wolton. Cette violence extrême qui a caractérisé partout l’arrivée au pouvoir des communistes, l’historien veut en voir la source chez Marx lui-même. « Marx commet la double erreur de croire que l’Histoire a un sens et que “la lutte des classes” est le moteur de l’histoire, comme il l’écrit. Cette phrase est la plus criminogène qui soit, car elle implique qu’il suffit de pousser la lutte des classes à son paroxysme pour faire avancer l’histoire. »

Dans le dernier tome de cette trilogie, la France tient une place particulièrement importante dans la propagation du mythe révolutionnaire. Peut-être parce qu’elle est le pays de la révolution de 1789 et des intellectuels. On ne compte plus ceux qui dissimulèrent les charniers et les camps de concentration.

En France, le philosophe Jean-Paul Sartre se taisait pour, disait-il, ne pas faire le jeu de la droite. Même la revue catholique de gauche, Esprit, faisait preuve d’une étonnante clémence. Au Québec, en 1961, Pierre Trudeau et Jacques Hébert décrivaient une Chine communiste idyllique au moment même où y sévissait une famine historique.

Cent ans après le coup d’État bolchevique, l’anticommunisme est encore rangé à droite et le communisme toujours plus respectable que le nazisme ou le fascisme, dit Wolton. Peut-être parce que, comme disait George Orwell, « le péché de presque tous les gens de gauche, c’est d’avoir voulu être antifascistes sans être antitotalitaires ».

 

Pacifiste en 39, pro-communiste sous Staline, soixante-huitard face à De Gaulle ; Sartre aura finalement toujours été du mauvais côté de l’histoire

 

Un « orgasme intellectuel »

En conclusion de son livre, Thierry Wolton se dit convaincu que l’idée totalitaire est loin d’être disparue. Il cite d’ailleurs le philosophe Bertrand Russel qui voyait déjà des points communs entre « la religion de Mahomet et le bolchevisme ». Pour Wolton, l’islamisme s’est substitué au communisme dans de nombreux pays arabes. Comme lui, il se caractérise par sa volonté de régir tous les aspects de la vie humaine et de créer un « homme nouveau ».

Thierry Wolton mentionne deux raisons qui expliquent en partie la cécité historique des milieux intellectuels à l’égard du communisme. « Alors que l’idéologie nazie se présentait sans fard, ouvertement raciste et rétrograde, le marxisme a mis ses pieds dans les traces du christianisme et de son grand rêve égalitariste. » L’autre raison, dit-il, c’est qu’avec Lénine, « le communisme a remis les intellectuels au centre du pouvoir. Pour ces derniers, le marxisme fut un véritable orgasme intellectuel, dont ils furent pourtant les premières victimes. »

Voilà qui explique, selon lui, pourquoi toute une partie de la gauche n’a toujours pas fait son deuil du communisme. « La véritable histoire du communisme ne pourra être écrite que lorsqu’il n’y aura plus aucun témoin, dit-il. Le communisme a représenté une espérance incroyable. Or, de ce rêve, cent ans plus tard, il ne reste rien. Rien n’est défendable ! Imaginez la souffrance de ceux qui y ont cru. Non, le deuil n’est toujours pas terminé. »

 

Lire l’article sur Le Devoir.

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