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À Québec, François Legault et Dominique Anglade se chamaillent peut-être sur le nombre optimal d’immigrants qui devraient être accueillis chaque année, mais ils sont bien les seuls. Car à Ottawa, il règne une belle unanimité sur la question de l’immigration. Que ce soit du côté des conservateurs, des néodémocrates ou des verts, tous les grands partis fédéraux endossent la hausse marquée des seuils d’immigration annoncée par le gouvernement libéral de Justin Trudeau. Cette absence de débat explique que ce sont les formations les plus radicales qui enfourchent ce cheval de bataille, ce qui contribue à empoisonner le puits et même à engendrer certaines tragédies.
La société canadienne est beaucoup plus ambivalente que sa classe politique sur le sujet. Un sondage de la maison Angus Reid mené à l’été 2021 nous a appris ceci: une pluralité d’électeurs (39%) estiment que les cibles d’accueil sont trop élevées. Un nombre presque équivalent mais inférieur (34%) pensent que les seuils envisagés sont acceptables. Seulement 13% trouvent que les seuils devraient être plus élevés. Les autres disent ne pas savoir. Les électeurs du Parti conservateur sont les plus susceptibles de regimber: deux sur trois (64%) croient que le Canada accueille trop d’immigrants.
[…]L’ambivalence canadienne n’est pourtant pas du tout reflétée dans l’offre politique fédérale. On connaît bien la position des libéraux de Justin Trudeau. Avant qu’ils n’arrivent au pouvoir, le Canada accueillait environ 250 000 immigrants par année, et ce, depuis une quinzaine d’années. Ce chiffre a augmenté progressivement et Ottawa vise maintenant environ 450 000 immigrants dès l’an prochain. C’est presque le double et c’est plus que 1% de la population canadienne.
Le NPD et le Parti vert sont d’accord avec les cibles libérales. On penserait, au vu des résultats du sondage, que le Parti conservateur serait le porteur naturel d’un discours alternatif. Il n’en est rien. Et ça ne changera pas. Lors du débat des aspirants chefs de la semaine dernière, les principaux candidats se sont tous dits d’accord avec les cibles libérales. «Nous avons besoin de main-d’œuvre», a dit Pierre Poilievre. «Ça semble dans la bonne zone», a dit Jean Charest. «Non, ce n’est pas suffisant», a même répondu Patrick Brown, qui en veut davantage.
Comment expliquer ce refus conservateur de se différencier des libéraux?
Pendant le règne de Stephen Harper, Jason Kenney (ce premier ministre d’Alberta qui vient de se faire montrer la porte par ses militants) avait été surnommé à la blague le «secrétaire d’État du curry à la hâte». C’était une référence au fait que le ministre multipliait les visites des communautés culturelles… et y avalait en vitesse des plats traditionnels. Les conservateurs ont voulu mettre un terme à l’histoire d’amour entre les communautés culturelles et le Parti libéral remontant à l’adoption sous Pierre Elliott Trudeau de la politique sur le multiculturalisme. Puisque les immigrants arrivent de pays traditionalistes (25% proviennent de l’Inde), M. Kenney estimait qu’ils sont des conservateurs naturels qui s’ignorent et qui peuvent être «convertis».
Les conservateurs estiment que la stratégie a fonctionné et ne veulent pas compromettre les gains enregistrés en réclamant une baisse des niveaux d’immigration.
[…]Pas de gain démontré
Cet encensement généralisé de l’immigration ne repose pourtant sur aucun fait. Les études économiques et démographiques tendent à démontrer que l’immigration ne permet pas de retarder le vieillissement de la population, de régler la pénurie de main-d’œuvre ou d’augmenter la richesse collective comme on l’entend souvent.
Le démographe Guillaume Marois, qui a corédigé en 2011 l’essai Le remède imaginaire et qui enseigne maintenant à l’Université de Shanghai, déboulonne l’impact positif de l’immigration sur le marché de l’emploi. Certes, dit-il, certains secteurs qui font face à un manque de personnel comblent leurs besoins par l’afflux de nouveaux travailleurs. Mais ces travailleurs arrivent aussi avec des besoins en matière de logement, de transport, d’éducation et de santé qui génèrent à leur tour un besoin de personnel. Bref, on règle peut-être le problème à un endroit, mais on l’accentue à un autre. Dans l’ensemble, il n’y a aucun gain.
[…]Son avis est partagé par Gilles Grenier, professeur à l’Université d’Ottawa spécialisé dans les questions d’immigration, ou encore l’économiste Pierre Fortin.
Les trois conviennent aussi que le vieillissement de la population canadienne est inéluctable et que l’immigration n’y changera rien. Les immigrants, parce qu’ils arrivent avec enfants et parents, reproduisent à peu près la même pyramide des âges. Pour avoir un effet sur l’âge moyen du Canada, ils devraient arriver en très bas âge par millions, ce qui est impensable de l’avis de tous.
Enfin, en faisant augmenter la population totale canadienne, les immigrants font augmenter le PIB du pays, mais pas le PIB par habitant, qui ne change à peu près pas.
Bref, l’effet de l’immigration sur les grands problèmes démographiques du Canada est neutre. Vouloir plus d’immigrants ne répond à aucun impératif autre que politique. Et justement, cette question a été politisée au fil des ans à coup de discours identitaires au point que désormais, être pour l’immigration de masse est synonyme d’ouverture à la diversité et être contre, de xénophobie. Les débats posés sur le sujet sont devenus à peu près impossibles — ici comme ailleurs dans le monde.
Le problème, c’est qu’un nombre non négligeable de citoyens se sentent bousculés par l’arrivée massive de gens qui n’ont pas les mêmes normes culturelles. Ils sont prêt à accueillir de nouveaux arrivants, mais dans la mesure où ceux-ci ont envie d’adhérer à un certain tronc de valeurs communes et, au Québec, de s’intégrer à la majorité francophone. Jusqu’à quel point les politiciens ont-ils le droit de faire violence à leurs citoyens au nom de leur besoin de réélection?
[…]>>> Lire l’article complet d’Hélène Buzetti
Pour en savoir plus :
Joint impacts of immigration on wages and employment: review and meta-analysis | SpringerLink