Alexandre Cormier-Denis
En cette veille de Noël, il apparaît opportun de revenir sur l’appartenance nationale du Québec à cet héritage qu’est l’Occident chrétien et à la sympathie du mouvement souverainiste envers ce qu’il est convenu d’appeler le tiers-mondisme. Car il existe aujourd’hui des contradictions entre la tradition tiers-mondiste du néonationalisme québécois issu de la mouvance anticolonialiste et le désir de ré-enracinement d’un patriotisme totalement décomplexé tel qu’il se profile aujourd’hui. Nous essaierons ici d’ouvrir la voie à un renouvellement de ce patriotisme décomplexé.
De prime abord, rappelons que les Canadiens français se sont toujours vus comme appartenant à la Chrétienté – terme que nous pourrions désigner dorénavant comme l’Occident. Cela relevait tellement du sens commun qu’il était inutile d’en faire un cas : c’était une évidence.
C’est sur cette alliance entre la couronne de France et l’Église catholique que s’est bâti le berceau de l’Amérique française qui a donné naissance au Canada français puis au Québec contemporain. Exclus de la conquête de l’Ouest après la pendaison de Riel, les Canadiens français trouveront refuge dans une province-réserve où ils demeureront majoritaires. Suivant la désillusion des nationalistes canadiens-français face à la mauvaise foi de Londres et d’Ottawa, la tentation de faire sécession du Canada anglais se fera de plus en plus forte au courant du siècle. Annoncée par le chanoine Groulx lors de son célèbre discours de 1922 – « Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, notre État français, nous l’aurons ! » – la volonté de faire de la province de Québec un État souverain débouchera concrètement sur l’avènement du mouvement souverainiste.
Le chanoine Groulx – notre plus grand intellectuel
de la première moitié du XXe siècle
Faire sécession. Créer un État séparé du reste du Canada anglais. Un État où nous serions enfin majoritaires et seuls maîtres en notre pays. Un État français en Amérique du Nord.
Nous ne reviendrons pas sur la naissance de l’Ordre de Jacques Cartier, de l’Alliance laurentienne, du Front de Libération du Québec, des Chevaliers de l’indépendance, du Rassemblement pour l’indépendance nationale, du Ralliement National ou du Parti Québécois. De nombreux ouvrages décrivent fort bien la genèse de ce qui est désigné aujourd’hui comme la naissance du « néonationalisme » québécois dans les décennies 1950-1960, il y a déjà plus de soixante ans. Pour faire court, disons que ce néonationalisme issu de la Révolution tranquille s’est distingué du nationalisme défensif et profondément enraciné dans la tradition catholique des habitants du Canada français. Le vieux credo ultramontain « la langue gardienne de la foi » fut donc jeté aux oubliettes de l’histoire par ces nouveaux nationalistes. De Canadiens français, nous devenions Québécois, excluant de facto toute la diaspora qui débordait les frontières de la province.
À ce rejet du passé canadien-français s’est jumelée une fascination pour les mouvements de libération qui agitaient alors le reste du monde. Les empires européens en Asie et en Afrique s’effondraient tous les uns après les autres, laissant place à des nationalismes anticoloniaux – souvent violemment anti-européens – rejetant tous liens avec les anciennes puissances coloniales.
Il s’est donc développé – de manière totalement compréhensible bien que peut-être problématique – tout un discours anticolonialiste et tiers-mondiste au sein du nationalisme québécois liant les révoltes d’Afrique et d’Asie avec le souverainisme d’ici. C’est également à cette époque que certains nationalistes québécois virent la lutte contre la ségrégation raciale des Afro-Américains comme un miroir de notre propre combat pour faire du Québec un pays. De même pour la lutte du FLN qui aboutit à la création de l’Algérie en 1962, sans parler de la fameuse révolution cubaine de 1959 mené par l’ineffable et aujourd’hui décédé Fidel Castro. Chicago-Alger-La Havane-Québec : même combat !
Mirage, quand tu nous tiens
Ce que les plus radicaux des néonationalistes n’ont pas pu prévoir ou n’ont pas voulu voir, c’est que l’effondrement global de la mythologie tiers-mondiste, anticolonialiste et socialiste allait jeter le nationalisme québécois dans un cul-de-sac dont il n’est pas encore sorti. Quiconque doté d’un peu de jugeote et de sens critique ne souhaite absolument pas que les Québécois se retrouvent dans la position actuelle des Afro-Américains, des Algériens ou des Cubains.
Malgré la présence d’un Noir à la Maison-Blanche, aucun Québécois n’envie le sort catastrophique des Afro-Américains surreprésentés dans les prisons américaines dont les seuls modèles culturels ne se résument trop souvent qu’à de vulgaires rappeurs singeant des trafiquants de drogue ou à des athlètes analphabètes pris dans des imbroglios judiciaires. Car ne nous mentons pas, la surreprésentation des Noirs dans les prisons américaines n’est pas uniquement imputable à un racisme de la majorité blanche américaine; la fascination pour la violence, la prison et la drogue est un problème éminemment culturel au sein de la jeunesse noire américaine. C’est d’ailleurs en voulant importer ce modèle vers le Québec que la gauche multiculturaliste réussira à faire augmenter sensiblement le racisme au lieu de prôner la seule politique viable à long terme : la réduction de l’immigration permettant l’assimilation de la jeunesse immigrante à la culture québécoise.
La gestion américaine de la diversité
La fascination de certains souverainistes québécois pour le combat algérien est lui aussi empreint d’une très grande naïveté. Malgré ce que croyait Frantz Fanon – le célèbre auteur des Damnés de la Terre, apologie ultime de la violence anticolonialiste – le combat pour l’Algérie indépendante ne mena pas à la création d’un contre-modèle socialiste pour toutes les sociétés du Tiers-Monde. Obnubilés par les théories marxistes, les lecteurs de Fanon – incluant Sartre et Beauvoir – ne virent pas dans le réveil algérien le souffle du Djihad qui allait se lever. Rappelons que, non content de lutter contre le colonisateur français, le moudjahidine algérien luttait également contre le rumi, le kafir, contre le mécréant qui occupait la terre islamique.
D’ailleurs, ce n’est plus l’idéal socialiste qui anime aujourd’hui la société algérienne, mais bien l’utopie totalement nihiliste de cet islam décomplexé et conquérant qui remporte bataille sur bataille dans toutes les sphères de la société. Car ne nous méprenons pas, même si les islamistes algériens ont perdu la bataille militaire durant la guerre civile des années 90’, ils ont gagné la bataille des cœurs et de esprits. Le FLN, le parti unique au pouvoir, s’accrochant comme il le peut à la rente pétrolière, a fait toutes les concessions juridiques et sociales aux islamistes pour conserver la paix militaire dans le pays. L’Algérie est aujourd’hui tout sauf un modèle d’émancipation nationale. Preuve en est que des milliers d’Algériens tentent aujourd’hui de venir s’installer chez nous.
Quant à Cuba, est-il bien besoin de faire le bilan politique d’un homme que certains considèrent encore comme étant un libérateur de peuple, même s’il a projeté son pays dans les griffes soviétiques, entraînant son peuple dans le régime le plus totalitaire de toutes les Amériques.
En ce qui concerne le modèle cubain, une semaine à Varadero suffit aux Québécois.
Mais pour ce qui est d’instaurer des billets de rationnement, des comités populaires de la révolution, des cursus scolaires entièrement marxistes, des visas internes, une presse unique aux ordres du parti unique et de la ploutocratie familiale dirigeant l’État; nous passerons notre tour. Même les plus fervents admirateurs québécois de Castro n’ont pas daigné s’installer définitivement sur l’île. Comme quoi, pour ces bourgeois-bohèmes logeant sur le Plateau Mont-Royal, le socialisme est toujours plus appréciable en buvant un petit vin californien dans leur chalet des Laurentides qu’en partageant les joies du socialisme réel. « La révolution socialiste ? Bien sûr… Mais loin de chez moi. »
Bouteflika, le président-zombie – symbole ultime de la déliquescence politique du FLN algérien
L’utopie anticolonialiste, tiers-mondiste et socialiste ayant échoué, quels ressorts reste-t-il au nationalisme québécois pour reprendre le flambeau du souverainisme et du combat indépendantiste ?
Écartons tout de suite le préchi-prêcha gnangnan de la gauche libérale voulant faire du Québec un petit Canada en puissance. Inter ou multiculturaliste, déraciné, post-national et bilingue, ce Québec souhaité par une partie non négligeable de l’establishment souverainiste n’aurait aucun intérêt à être construit puisqu’il existe déjà. La guerre culturelle qu’a menée le trudeauisme a si bien été remportée que le camp souverainiste s’y est laissé entraîner. Reprendre à notre compte l’idéal de Pierre Elliott ou de Justin ne ferait que consacrer notre mort nationale.
Il nous apparaît donc que c’est par le ré-enracinement dans les fondements de ce qui fait du Québec un endroit unique au monde qu’il faut commencer à réarticuler la question nationale pour le XXIe siècle. Il faut défendre le passé glorieux de la Nouvelle-France, comprendre l’impact qu’ont eu les ordres missionnaires, se rappeler l’histoire de l’Église triomphante, décrypter l’épisode des patriotes avec un regard neuf, sortir du mythe de la « Grande Noirceur » pour faire une critique raisonnée de tous les échecs de la Révolution tranquille et enfin sortir du référendisme à tout crin qui nous a menés dans une catastrophe politique.
Car les nouvelles générations de patriotes ne veulent pas une utopie sortie des cerveaux malades des théoriciens queers et postmodernes biberonnés aux subventions universitaires. Ce qu’ils veulent, c’est la reconquête de leur histoire, de leur territoire, de leur économie et de leur patrie. Le nationalisme qui pointe à l’horizon s’émeut peu du poison de la culpabilité coloniale que les militants de la haine-de-soi injectent au corps national.
Oui, le Québec est le fils de la France coloniale du XVIe siècle. Oui, nous sommes un peuple très majoritairement blanc, catholique, descendants des colons français venus s’établir en Amérique du Nord. Oui, nous appartenons au camp occidental. Oui, nous sommes le foyer lumineux de l’Amérique française entouré de toutes parts par l’anglophonie protestante et libérale. Oui, notre destin national est exceptionnel.
Et alors?
Nous ne nous en excuserons plus.
Les souverainistes sont avant tout des héritiers
Qui aurait cru que les descendants de cette poignée de colons arrivés sur les berges laurentiennes allaient devenir le plus grand peuple explorateur de l’Amérique du Nord, tissant alliances et traités avec les Autochtones et cartographiant le continent de la Baie d’Hudson au Golfe du Mexique ? Qui aurait misé sur le fait que plus de deux siècles après l’annexion de la Nouvelle-France par l’empire britannique nous allions encore parler fièrement le français ? Qui oserait encore cracher sur l’incroyable épopée de nos ancêtres qui créèrent, contre vents et marées une civilisation pleine et entière au cœur de l’Amérique du Nord?
Nul besoin de larmoyer sur les défaites passées des dernières décennies. L’époque où les souverainistes étaient transis de peur à l’idée qu’on puisse évoquer « l’argent et le vote ethnique » tire à sa fin. L’éternelle repentance est morte sous les décombres de la nécessité vitale de reprendre le discours nationaliste de façon franche et sans complexe.
Une nouvelle génération se lève pour voir le jour et souhaite en finir avec l’à-plat-ventrisme de nos pseudo-élites auto-proclamées.
L’époque de la mollesse post-référendaire est terminée.