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Antiracisme ou liberté d’expression : il faudra choisir

Marie-France Bazzo >

Alors que tout un chacun devrait avoir droit de parole concernant les enjeux de société, il semble que, de plus en plus, seul le point de vue des « victimes » serait valable.

Il m’est arrivé une chose étrange l’automne dernier. Je rappelle le contexte. On avançait à petits pas prudents vers la consultation sur le racisme systémique. On surveillait les mots. Le terrain était résolument miné. À l’émission de radio éphémère que j’animais avec Fred Savard, En attendant la soirée, nous proposions un segment de discussion où trois invités, chaque semaine les mêmes, venaient traiter de sujets qui avaient suscité leur intérêt. Deux femmes, un homme, trois générations. Un jour, le sujet du racisme systémique est amené par l’un d’eux. Deux camps se forment, et les points de vue opposés sont défendus avec éloquence.

Le lendemain, un militant proconsultation m’interpelle sur Twitter : « Pas de personnes racisées pour parler de racisme systémique ? Vraiment ? »

Quoi ? Il y a des sujets de discussion interdits entre Blancs ? Des thèmes dont ne pourraient parler entre eux les « non-racisés », ceux qui ne seraient pas directement visés ? Comme si, collectivement, nous n’étions pas tous touchés par les dégâts causés par le racisme ? Cette volonté d’arbitrer les droits de parole peut laisser craindre qu’on n’en vienne à vouloir réserver certains points à la seule réflexion des « victimes ». Voire à interdire la parole aux Blancs.

L’autre dimanche, j’entendais à la radio l’anthropologue Serge Bouchard, lui qui aura fait davantage que quiconque au Québec pour sensibiliser le public à la présence et à la réalité des Premières Nations, afin qu’on en parle. J’écoutais aussi la formidable Betty Bonifassi et sa réinterprétation des chants d’esclaves noirs. Ça ne saurait tarder : un bien-pensant va se lever et les accuser de faire de l’appropriation culturelle !

La logique est la suivante : si tu n’es pas victime, tu es oppresseur. Tu ne sais pas de quoi tu parles, donc : ta yeule ! Le critère cardinal pour participer à une discussion, pour émettre une opinion de nos jours, serait donc l’expérience empirique ? Vous pouvez être compétent, humaniste, empathique, avoir étudié longuement le sujet, mais vous êtes blanc ? Disqualifié.

Ce multiculturalisme extrême enjoint à chacun de rester dans ses marques identitaires. C’est une rhétorique glissante. Elle est directement importée des départements d’études sociales des universités américaines les plus militantes, dans une société qui doit affronter un criant problème de racisme systémique. Mais au Québec ?

Il se crée une spirale vicieuse quand se rencontrent cette volonté de faire taire une majorité, d’emblée incompétente parce que majoritaire, et la logique d’autoflagellation des sociétés occidentales, qui se blâment de tous les maux de l’humanité souffrante.

 

La mairesse de Montréal et la présidente de Québec inclusif viennent des réseaux de la gauche fédéraliste promouvant le multiculturalisme au Québec

 

Autour de la consultation sur le racisme systémique, il y avait une aura trouble. La plupart des éditorialistes des grands quotidiens, le PQ, la CAQ ont sommé Philippe Couillard de reculer, craignant que l’opération n’attise les braises de la légendaire intolérance. Le premier ministre a voulu tenir malgré tout les consultations, et à huis clos, loin du regard des gens, blancs ou racisés. De nombreuses voix, dont celle des libéraux, ont soutenu que notre société était aux prises avec un problème de racisme organisationnel, institutionnel.

Non, rétorquent une majorité de Québécois. Certes, il y a du racisme, des racistes. C’est détestable et absolument condamnable. Il faut le répéter. Mais de là à comparer le Québec bonhomme aux pires États racistes des États-Unis, il y a une marge. Peut-on discuter, tous ensemble ? Les pros du lobbyisme « diversitaire » refusent, se complaisent dans le huis clos et n’invitent que des victimes.

Mais depuis quand confisque-t-on la parole au Québec ?

Depuis quand le discours doit-il se dérouler en privé ?

On commence à voir, aux États-Unis, en France, des cours universitaires, des colloques, des camps d’été non mixtes, réservés aux personnes racisées. Le Québec n’est pas une société postcoloniale ou ségrégationniste. Comment se fait-il qu’aucune opinion éclairante ne puisse venir d’un Blanc sur les questions de racisme ?

Tenir privés des objets de discours est une manière d’amoindrir la liberté d’expression en se drapant dans la toge puritaine de la vertu. Oui, il faut dorénavant impérativement entendre la diversité des voix. Mais pas en faisant taire celles que les lobbys jugent inadéquates. Cette confiscation de la parole m’inquiète.

Tous ont le droit de parler de tout. Y compris de dire des choses avec lesquelles on est en désaccord. Y compris d’émettre des conneries. Ou d’être éclairants. Ce n’est pas en voulant réduire au silence des pans entiers de la société qu’on fait progresser le fameux « vivre-ensemble ». Le dialogue est une vertu démocratique.

Je retourne écouter du Betty Bonifassi, tiens…

> Lire l’article sur L’actualité.

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