Alexandre Cormier-Denis
Face au déluge de commentaires empreints de grande émotion, voire proches de l’hystérie, relatifs à la terrible tuerie de Sainte-Foy, il apparaît essentiel d’aborder l’évènement avec un minimum de sérénité. Devant l’horreur, il importe plus que jamais de raison garder et, a fortiori, de réfléchir sur les conséquences de cette tragédie pour l’avenir du Québec. Plusieurs niveaux d’analyse s’entrecroisent et se superposent, rendant l’événement pratiquement illisible pour le commun des mortels.
Laissant des dizaines de familles meurtries, des veuves et des orphelins arrachés à leurs maris et leurs pères, le massacre du Centre islamique de Québec est un drame humain épouvantable. De nombreuses personnes parmi les témoins ne se remettront probablement jamais de cet évènement horrible. Des dizaines de vies sont brisées par l’acte horrifiant commis par Alexandre Bissonnette.
Cependant, le drame humain que représente ce carnage ne doit pas nous empêcher de réfléchir au contexte dans lequel ce massacre s’est produit et aux conséquences qu’il aura sur le Québec .
#pasdamalgame ?
Comme nous l’avons tous constaté, la récupération politique de l’attentat ne s’est pas fait attendre. Très vite, on a désigné comme responsables le nouveau président américain, le débat sur la laïcité ou encore les radios de Québec. Les mêmes qui étaient si prompts à dénoncer l’amalgame entre islam politique, djihad et terrorisme sont aujourd’hui ceux qui associent toute critique du multiculturalisme et toute défense de la laïcité avec l’attaque de dimanche dernier.
Par exemple, au rassemblement de Montréal en l’honneur des victimes, un militant multiculturaliste a eu la malhonnêteté intellectuelle de lier le sociologue Mathieu Bock-Côté, l’éditorialiste Richard Martineau, le journaliste Christian Rioux et les présidents américain et russe à la tuerie. Vous avez bien lu : Bock-Côté, Martineau, Rioux, Trump et Poutine sont tous, à des degrés divers, solidairement responsables de l’attentat commis par Alexandre Bissonnette. Rien de moins.
Une enseignante anglophone du collège Vanier va même jusqu’à accuser l’influence des débats français sur la laïcité d’être en lien avec la tuerie de Sainte-Foy. Évidemment, pour un anglo-saxon, tout débat sur la laïcité est un débat forcément raciste et xénophobe, comme l’a prouvé la réaction de l’anglosphère à l’attentat de Charlie Hebdo. La sociologie culturelle du Canada anglais; protestant, individualiste et différencialiste ne comprend pas que le Québec, foyer lumineux de l’Amérique française, puisse avoir une conception catholique, universaliste et assimilationniste de l’intégration des immigrants et du rapport au religieux dans l’espace public.
De manière bien maladroite, c’est ce que dit en substance un joli petit texte d’une étudiante de Colombie-Britannique publiée sur le site de la CBC qui dénonce explicitement les objectifs de la Charte de la laïcité proposée par le Parti Québécois en 2014 :
The message, implicit in these examples and others is clear: non-white, non-Catholic « others » must assimilate into the Québécois identity.
Bien que présentée de manière grossière, cette analyse est juste. La majorité des Québécois veulent l’assimilation culturelle des nouveaux arrivants et rejettent la ghettoïsation identitaire du multiculturalisme anglo-saxon.
Oui, nous voulons l’assimilation des immigrants.
Oui, nous voulons une forme de laïcité dans l’espace public.
Non, nous ne serons jamais de bons petits Canadiens post-nationaux, heureux d’être une simple minorité ethnique dans un Canada multiculturel.
Il est temps que la classe politique québécoise le comprenne.
Logique communautariste oblige: les dépouilles ont étés exposées avec les drapeaux des pays d’origine des morts.
Cela n’était donc en rien des funérailles « nationales ».
La logique communautariste du multiculturalisme canadien
Au fond, ce que révèle la tuerie de Sainte-Foy, c’est le clivage qui sépare encore une fois l’utopie multiculturelle du Canada anglais et le réflexe assimilationniste du Québec. La logique multiculturaliste qui voit des communautés religieuses, ethniques et culturelles lutter pour recevoir des privilèges de l’État par l’acharnement judiciaire est une utopie sociale.
Car en essence, qu’est-ce que constituent les accommodements raisonnables? C’est une guerre juridique afin de savoir jusqu’où les lobbies communautaristes pourront pousser leurs revendications. Cette guerre permanente pour la reconnaissance trouve sa logique suprême dans un affrontement des différentes soi-disant communautés afin de savoir laquelle aura le plus de privilèges.
Depuis l’attaque de dimanche dernier, on entend à tout-va le terme de « communauté musulmane », un terme qui ne veut strictement rien dire. En quoi l’humoriste Nabila Ben Youssef et le prédicateur Adil Charkaoui appartiennent-ils à la même « communauté »?
Certes, il y a des individus de confession musulmane sur le territoire québécois, mais ils ne forment en aucun cas un groupe homogène identifiable à une communauté ayant des intérêts communs et solidaires. Ce qui existe par contre, ce sont des lobbies qui affirment représenter des groupes ethno-confessionnels mais qui ne représentent surtout qu’eux-mêmes et qui sont subventionnés par les fonds publics.
Il est important de rappeler que la seule véritable communauté existante est la Nation.
Sans ce socle commun qui fait que nous nous associons tous à l’histoire, à la culture et au territoire québécois, il ne peut que s’ensuivre une logique de concurrence communautariste menant à une guerre permanente pour la reconnaissance de privilèges. Cette logique ultime d’affrontement communautariste trouve sa réponse finale dans la guerre de tous contre tous.
À force de ne pas vouloir intervenir, l’État québécois a laissé une situation sociale se dégrader. Rappelons que ce ne sont pas des gouvernements nationalistes qui sont au pouvoir, mais bien des gouvernements libéraux, multiculturalistes et immigrationnistes qui sont à Québec et à Ottawa. Depuis 1998, les forces nationalistes du Québec n’ont pas gagné une élection menant à un gouvernement majoritaire.
Au lieu de s’enfoncer la tête dans le sable et de s’auto-flageller dans une repentance inutile, les Québécois ont le devoir de regarder le réel en face afin d’éviter que le mauvais rêve se prolonge. La responsabilité de la cohésion sociale exige enfin que l’État assure la paix et mette fin à la concurrence communautariste entretenue par le modèle mutliculturaliste canadien. Il est impératif de se réveiller du rêve multiculturel afin de sortir de ce cauchemar multiconflictuel qu’on a imposé de force.