Édouard de Mareschal >
Une enquête devra déterminer si les institutions ont suffisamment protégé les enfants de Telford, après qu’une investigation du Sunday Mirror a accusé les policiers, la municipalité et les services sociaux d’avoir échoué à démanteler un réseau pédophile d’origine indo-pakistanaise par crainte d’être accusés de «racisme».
Comment les services sociaux, la municipalité de Telford et même les forces de police ont-ils pu fermer les yeux sur les agissements d’un réseau d’agresseurs pédophiles d’origine indo-pakistanaise pendant près de 40 ans? Dans une longue enquête parue la semaine dernière, Le Mirror estime qu’ils ont pu faire jusqu’à 1000 victimes, principalement des jeunes filles de la classe ouvrière blanche de cette ville du nord de l’Angleterre. Aujoud’hui, les institutions de cette petite ville du nord de la Grande-Bretagne sont accusées d’avoir tenté de minorer, voire d’étouffer les agissements de ces gangs criminels par peur d’être accusés de racisme.
C’est l’accusation qu’a essuyé Lucy Allan, la députée Tory (conservateurs) de la circonscription de Telford, lorsqu’elle réclamait à cor et à cri la réouverture de l’enquête sur cette affaire sordide qui avait déjà abouti à plusieurs condamnations. On lui a reproché d’attiser les tensions interraciales en pointant la responsabilité d’hommes indo-pakistanais, alors que les abus d’enfants étaient commis par des personnes de tout milieux.
Lucy Allan a été accusée de nuire au « vivre-ensemble »
Un combat de 18 mois
«À ce moment-là, je n’avais même pas mentionné la question de race, je n’étais pas assez courageuse», confessait-elle dimanche dans une interview au Telegraph. «Même moi, j’étais trop facilement prête à accepter le discours du ‘Oui, les statistiques disent que les hommes blancs commettent aussi des abus sexuels…’ Certes, les hommes blancs commettent des abus, mais cette notion de gang est associée à la culture pakistanaise. Reconnaître le problème est la première étape pour le résoudre», estime-t-elle. En effet, une enquête publiée l’année dernière par le think-tank Quilliam a relevé que 85% des hommes condamnés pour leur appartenance à des gangs de violeurs depuis 2005 étaient d’origine indo-pakistanaise.
Sur demande de Theresa May, l’enquête indépendante demandée par Lucy Allan a finalement été ouverte vendredi. Elle aura pour but d’«obtenir la vérité, montrer ce qui n’a pas fonctionné», et «tirer les leçons pour l’avenir», a déclaré un porte-parole du ministère de l’Intérieur. «C’est une affaire vraiment terrible, certains des membres les plus vulnérables de notre société étant la proie de criminels sans pitié». Mercredi, Theresa May avait appelé de ses voeux la mise en place de cette commission le plus rapidement possible. «Nous avons tous été choqués par cette affaire horrible», avait déclaré le premier ministre britannique devant les députés, soulignant la qualité de l’enquête du Sunday Mirror .
Ahdel et Mubarak Ali, les deux frères à la tête du réseau
Silence des services sociaux
C’est l’aboutissement d’un combat de dix-huit mois mené par Lucy Allan. Elue en 2015, elle reçoit une première jeune femme de 24 ans qui lui dit avoir été victime d’un gang à Telford. Elle demande alors l’ouverture d’une enquête sur le modèle de celles menées à Rotherham et Rochdale, deux ville pauvres du nord de l’Angleterre où des gangs indo-pakistanais se sont rendus coupables de plusieurs centaines de viols et abus sexuels sur mineurs entre 1997 et 2013. Si le premier ministre Theresa May approuve la démarche en privé, la députée se heurte au refus du conseil local de la ville qui estime toute nouvelle enquête inutile.
Car l’affaire n’est pas nouvelle à Telford. Une opération de police menée entre 2010 et 2012, baptisée «Opération Chalice», avait déjà identifié plus de cent victimes potentielles entre 2007 et 2009, et jusqu’à 200 auteurs. Seuls neuf agresseurs ont fini derrière les barreaux. Le chef de gang, Mubarek Ali, a été condamné à 22 ans de prison. Mais ce qu’a révélé l’enquête du Sunday Mirror, c’est que les autorités avaient connaissance de ces abus de masse depuis au moins dix ans lorsque l’opération Chalice a été déclenchée. Le journal a précisé qu’il transmettrait des documents au Home Office (l’exécutif du gouvernement britannique) prouvant ces accusations. Tout aussi grave, les agissements des réseaux pédophiles auraient perduré à Telford après la clôture de cette enquête, sans que les institutions ne réagissent.
Dans le détail, le Sunday Mirror accuse les travailleurs sociaux d’avoir été informés de ces abus sexuels dès les années 1990, et la police d’avoir mis dix ans à lancer des poursuites. Les membres du Conseil ont traité les victimes comme des prostituées, et non comme des victimes. Les autorités ont préféré taire les détails sur l’identité des auteurs issus de communautés indo-pakistanaises, par peur d’être accusées de «racisme». La police a refusé à cinq reprise d’ouvrir une enquête, jusqu’à l’intervention de Lucy Allan. Enfin, l’une des victimes a déclaré que les policiers avait tenté de la dissuader de rechercher pourquoi ses agresseurs n’avaient pas été poursuivis, car ils craignaient qu’elle ne parle au Mirror.
Le journal a parlé à 12 victimes qui ne se connaissaient pas pour la plupart d’entre elles. Celles-ci ont dénoncé plus de 70 agresseurs et ont affirmé que des viols violents se sont poursuivis jusqu’à ces derniers mois. Le tabloïd cite in extenso le témoignage particulièrement terrifiant d’une victimes âgée de 14 ans, abusée après que son numéro de téléphone eut été vendu à des pédophiles:
«Je détestait ce qu’il se passait et mes agresseurs me donnaient la chair de poule, mais on m’avait dit que si je disais un mot à quiconque, ils s’occuperaient de mes petites soeurs et ils diraient à ma mère que j’étais une prostituée. Nuit après nuit, j’ai été forcée à coucher avec de nombreux hommes dans des fast-foods dégoûtants et des maisons crasseuses. J’allais chercher la pilule du lendemain dans une clinique locale au moins deux fois par semaine mais personne ne m’a posé aucune question. Je suis tombée deux fois enceinte et j’ai subi deux avortements. Quelques heures après mon second avortement, j’ai été raccompagnée par l’un de mes agresseurs pour être violée par plus d’hommes. Le pire moment a été juste après l’anniversaire de mes 16 ans, quand j’ai été droguée et violée en réunion par cinq hommes. Quelques jours plus tard, le chef du réseau a débarqué chez moi et m’a dit qu’il brûlerait ma maison si je soufflais un mot de ce qui s’était passé.»
Pendant des années, le réseau criminel a donc agi en toute impunité. Outre les centaines de victimes de viols et d’agressions sexuelles, il serait lié à plusieurs décès.